“Nous ne sommes pas contre le mariage en soi, mais contre l’arrogance de ce grand baron du techno-féodalisme qui se croit chez lui. C’est certain, les os qui tomberont du banquet du Roi-Soleil attirent les convoitises, mais nous voulons défendre la dignité de Venise qui ne peut pas être le décor favori d’une personne qui exploite les travailleurs, appuie Trump et occupe de facto la ville. On bloquera les canaux, et on se jettera même dedans si besoin. Le gâteau des noces sera indigeste.”
Porte-parole du comité No Space for Bezos (“Pas de place pour Bezos”), Tommaso Cacciari a un goût certain pour les métaphores et les phrases percutantes. L’homme, dont les déclarations sont rapportées par le média napolitain Fanpage, fait partie des leaders d’un mouvement qui s’est organisé spontanément, à Venise, pour mener à bien une mission : gâcher le mariage de Jeff Bezos. Le propriétaire d’Amazon, qui compte parmi les personnes les plus riches du monde, a en effet choisi la cité des Doges pour célébrer son union avec la journaliste Lauren Sánchez. Un mariage qui devrait être célébré entre le 24 et le 26 juin.
Une île entière louée pour le mariage ?
Évidemment, les protestataires du comité No Space for Bezos ne contestent pas la sincérité des sentiments des tourtereaux, mais plutôt les répercussions, pratiques et symboliques, que leur union aurait sur la ville. “Bezos a réservé presque toutes les chambres des hôtels les plus luxueux de la ville et a loué une bonne partie de la flotte des taxis pour déplacer les quelque 250 invités”, dévoile Il Post, selon qui le milliardaire aurait aussi loué toute l’île de San Giorgio Maggiore pour les festivités. Intolérable pour les membres du comité qui, jeudi 12 juin, sont montés sur le campanile de la basilique Saint-Georges et ont déroulé une énorme banderole avec le nom de Bezos barré en noir.
L’action n’a pas plu au maire de la ville, Luigi Brugnaro, qui estime que les contestataires sont une minorité. Pour l’édile, “il faudra s’excuser auprès de Jeff Bezos, en espérant qu’il vienne encore”, rapporte le média romain Il Fatto Quotidiano, qui se montre solidaire des pourfendeurs du milliardaire. “Avant, il y a eu les grands bateaux de croisière, puis le ticket d’entrée pour les touristes à Venise, et, désormais, un des hommes les plus riches du monde qui veut louer la ville pour son mariage, s’indigne ce média de gauche. Les mouvements qui protestent contre l’exploitation de Venise ont raison de relever la tête et de lutter contre l’arrivée du magnat.”
Problème, aux yeux du média libéral La Stampa, cette lutte paraît quelque peu anachronique et futile. “Penser que sa ville n’est pas en vente, c’est très noble, mais avec les nobles pensées on ne paie pas le loyer, et si des personnes peuvent profiter de la grossièreté d’un milliardaire, tant mieux, analyse, cynique, le quotidien turinois. Si Venise a survécu au grand concert de Pink Floyd en 1989 [qui causa d’importantes perturbations], elle survivra sûrement au mariage de Bezos.”
