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Au fond du lac Kivu reposent les promesses et les dangers mortels du méthane

- Business
mars 01, 2025

Les légendes parlent d’une mystérieuse divinité qui vivrait dans les profondeurs du lac Kivu sous les traits enchanteurs d’une sirène, ensorcelant les hommes crédules. Seulement voilà, ses charmes dissimulent une grande cruauté – les récits parlent d’une funeste caverne où les malheureux seraient mis à mort.

Si l’existence de créatures mythiques reste à prouver, il se trouve bel et bien une menace dans ce lac merveilleux, sous la surface : la présence de méthane, un gaz mortel prêt à jaillir à tout moment. Et le projet de l’État de l’extraire pour en tirer de l’énergie ne fait qu’aggraver ce risque.

Les eaux cristallines du lac, blotti entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), foisonnaient autrefois de poissons de toutes sortes. Mais, depuis quelques années, les stocks s’amenuisent, mettant en péril la subsistance des pêcheurs de la région.

Cette richesse écologique témoigne de l’importance de ce réservoir immense niché au cœur de l’Afrique de l’Est, d’une superficie de 2 700 kilomètres carrés et d’une profondeur moyenne de 220 mètres, voire jusqu’à 475 mètres par endroits, ce qui en fait le vingtième lac du monde par sa profondeur.

Mais, depuis quelques années, c’est pour une autre raison, plus inquiétante, que le lac Kivu suscite l’attention des scientifiques du monde entier : le risque d’éruption limnique. Un phénomène naturel extrêmement rare et dangereux qui voit le dioxyde de carbone piégé sous la surface jaillir tout à coup à l’air libre, tuant toute vie sur son passage. En l’espace d’un instant, ce havre de paix peut se métamorphoser en piège mortel.

“Une éruption limnique se produit quand un lac finit par être saturé en gaz, comme le méthane et le dioxyde de carbone, qui se superposent sans se mélanger dans les couches d’eau profondes”, explique Benoît Smets, volcanologue.

“Au fil du temps, le gaz s’accumule et, quand les couches finissent par se mélanger, la pression baisse, permettant au gaz de remonter et de jaillir à la surface sans prévenir.”

On a déjà une idée des dégâts causés par une éruption limnique. Le 21 août 1986, le paisible lac Nyos, un lac de cratère camerounais, a laissé échapper en silence le dioxyde de carbone qu’il contenait. Le nuage de gaz invisible s’est répandu sur les rives du lac et a enveloppé les villages voisins, semant la mort dans son sillage. En l’espace d’un instant, les eaux dormantes du lac se sont muées en piège mortel et plus de 1 700 personnes ont perdu la vie ce jour-là.

La concentration élevée en méthane du lac Kivu rend possible un scénario du même type. Au vu de la densité de population des agglomérations environnantes, une éruption limnique au lac Kivu pourrait faire 2 millions de victimes. Et il est à craindre que, au lieu d’anticiper une telle catastrophe, les pouvoirs publics n’entreprennent des projets qui en accroissent le risque.

Comme si le poisson avait fui

Dans le décor bucolique de la campagne rwandaise, à deux pas du village de Mugonero, Claude est assis dans son rafiot de fortune et attend le chaland.

Tous les jours, à 5 heures du matin, Claude quitte sa maison avec le même objectif, modeste mais vital : gagner les 500 francs rwandais (40 centimes d’euro) qui lui permettront de rafistoler sa coquille de noix et de subvenir à ses maigres besoins. Ces derniers temps, les eaux ne donnent plus rien, comme si le poisson avait fui, et Claude ne sait pas où. Accablé par ce mauvais sort, l’homme se moque bien de la présence menaçante de méthane enfoui dans les profondeurs du lac – le genre d’inquiétude lointaine qui ne pèse pas lourd face à la lutte impérieuse pour la survie.

Poussant un soupir résigné, il profite du fait que la pluie cesse pour rassembler ses maigres prises, jette un coup d’œil fugace par-dessus son épaule pour s’assurer que La Vache est bien amarrée et prend la direction de sa maison, sur les hauteurs, pour aller exercer son deuxième métier, celui de mécanicien.

La plupart des Rwandais installés en dehors des agglomérations vivent dans une misère noire. Si le taux de pauvreté au Rwanda est passé de 75 % à 54 %