“Les militaires doivent rester dans les rues !” C’est un appel presque désespéré que lance Rosa Torres au média Voice of America, à quelques jours de l’élection présidentielle équatorienne, dont le premier tour est prévu pour le 9 février. Pour cette commerçante de 47 ans comme pour une bonne partie de ses compatriotes, le président Daniel Noboa doit être réélu afin de ramener un semblant d’ordre dans ce pays autrefois considéré comme un havre de paix et aujourd’hui plongé dans une spirale de violence alimentée par les gangs et le narcotrafic.
Pourtant, le bilan des dix-huit mois de gouvernement de ce libéral de 37 ans, fils de l’un des hommes les plus riches du pays, chef d’entreprise dans le secteur bananier, est controversé. Arrivé au pouvoir en novembre 2023 après la démission de son prédécesseur, le banquier Guillermo Lasso, acculé par des scandales de corruption, Noboa a immédiatement déclaré la guerre aux 22 gangs qui gangrènent le pays. Une décision qui lui a valu d’être comparé à son homologue salvadorien, Nayib Bukele, dont la militarisation de la guerre contre les gangs au mépris des droits de l’homme fait des émules en Amérique latine.
Mais si “le style de Bukele est disruptif, innovant et controversé. Son approche doit être prise avec précaution, car s’attaquer à des gangs de rue peu puissants n’est pas la même chose que partir en guerre contre des cartels de la drogue transnationaux”, soulignait en avril 2024 le média indépendant Primicias.
Le mois le plus violent de l’histoire
Neuf mois plus tard, cet avertissement s’est révélé prémonitoire, puisque “la répression a manqué sa cible et, au lieu d’endiguer [la violence], elle a conduit à une réorganisation criminelle” des gangs tels que les Choneros, les Lobos ou les Tiguerones, dont le pouvoir de corruption infiltre progressivement les forces armées, signale le site spécialisé Insight Crime. Montrant les limites d’un système qui a fonctionné dans le petit pays qu’est le Salvador et ses 6,3 millions d’habitants, contre 18,2 millions pour l’Équateur.
Accusant ces groupes criminels de vouloir “déstabiliser le pays”, Daniel Noboa a ordonné de fermer les frontières avec la Colombie et le Brésil et de militariser les ports entre le 8 et le 10 février, rapporte le journal El Universo, proche du gouvernement.
Il est vrai que le taux d’homicides a diminué pendant ses quatorze mois à la présidence, passant de 46,2 pour 100 000 habitants en 2023 à 38,8 en 2024, rappelle Primicias. Mais c’est un trompe-l’œil, car après la brève accalmie qui a suivi la déclaration de conflit interne en janvier 2024, le nombre de morts est remonté en flèche, faisant de janvier 2025 “le mois le plus violent de l’histoire du pays”, avec 723 assassinats, précise le média d’investigation La Posta.
Un pays en récession
Cette vague de meurtres, mais aussi d’enlèvements et d’extorsions, frappe tout particulièrement les côtes de ce pays ancré entre la Colombie et le Pérou, principaux producteurs de cocaïne au monde, malgré l’état d’urgence en vigueur dans 7 des 24 provinces.
“Aujourd’hui, les chiffres montrent une détérioration de la gouvernabilité, et les problèmes du pays – de l’économie à la criminalité – non seulement persistent, mais se sont aggravés”, déplore pour sa part le journal provincial La Hora, pointant du doigt la persistante crise du secteur énergétique (qui provoque de nombreuses coupures d’électricité) et la récession dans laquelle est tombé le pays en 2024, d’après El Universo.
Pourtant, les Équatoriens ne semblent pas lui en tenir rigueur. Certains sondages prédisaient même une victoire de Noboa au premier tour de l’élection présidentielle, ce 9 février, mais il semble se diriger vers une réédition du ballottage qui l’a porté au pouvoir en 2023. Il y affronterait à nouveau le 13 avril (la date fixée pour un éventuel second tour) la candidate socialiste Luisa González, pupille de l’ex-président Rafael Correa, condamné pour corruption et exilé en Belgique, mais dont l’ombre plane encore sur le pays.