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Des réformes… qui n’en sont pas !

- Tunisie
janvier 30, 2025

 

Combien de fois avons-nous entendu les termes de « révolution législative », de « nouvelle ère » et de « rupture avec les orientations passées » ? Un nombre incalculable de fois certainement. Pourtant, en réalité, il n’y en a pratiquement rien. Les supposées révolutions législatives sont un enchaînement de fiascos dont il ne reste que le remue-ménage ponctuel entretenu sur commande par les porte-voix du pouvoir sur les plateaux et au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Le dernier exemple en date est celui de la loi sur les chèques. Il s’agit d’une réforme voulue depuis longtemps par le président de la République et les élus se sont, évidemment, conformés à cette volonté. Sur la longue liste de priorités et de textes devant être amendés ou créés, réglementation des changes, Code des eaux, Loi sur l’investissement et autres, le pouvoir a choisi d’amender le Code du commerce pour les beaux yeux de la minorité d’escrocs qui utilisent le chèque de manière frauduleuse. Même après ce choix, motivé et soutenu par des dizaines de pages Facebook et de comptes fictifs créés, la réforme a entraîné des difficultés pour une économie chancelante. Des commerçants et des entreprises ont perdu une partie non négligeable de leurs chiffres d’affaires, les citoyens sont dans l’expectative, et donc ne consomment plus, ce qui se répercute directement sur les quelques lambeaux de croissance que la Tunisie cherche à rassembler de part et d’autre.

Les défenseurs de cette politique diront qu’il était inadmissible de tolérer la pratique illégale de l’utilisation des chèques comme moyen de garantie. Soit, mais la responsabilité du législateur et du gouvernant est aussi de trouver des solutions alternatives, de garantir que la période transitoire entre deux législations ne soit pas préjudiciable, de veiller à une application en souplesse de cette loi dans un contexte économique fragile. Au lieu de cela, professionnels et citoyens ont l’impression que le régime a pondu une loi et ensuite demandé à tous les intervenants de se débrouiller avec, sans même un effort de communication pour expliquer le pourquoi du comment.

Mais ce n’est pas la seule fois où une réforme annoncée en grandes pompes et relayée par tous les porte-voix finit aux oubliettes. Rappelez-vous de la fameuse « épuration » de l’administration tunisienne qui serait gangrénée par des milliers d’agents sans diplôme ou recrutés frauduleusement. Une ribambelle de pseudo-experts ont été reçus sur les plateaux pour surenchérir en termes de chiffres. Ces agents recrutés au sein de l’État et qui se trouveraient à tous les niveaux et dans toutes les administrations se compteraient par centaines de milliers selon certains. Donc, sous la gouvernance de Ahmed Hachani, des commissions de vérifications ont été créées afin de faire un audit sévère de la situation à la demande du chef de l’État. Ces commissions devaient élaborer des rapports qui seraient ensuite centralisés au niveau d’une autre commission créée par le président de la République. L’objectif de tout ce travail est de débarrasser l’appareil de l’État de ces fonctionnaires recrutés de manière illégale avec des diplômes falsifiés voire sans diplôme. Des agents recrutés au sein de l’État à la faveur de pressions politiques et qui auraient contourné toutes les instances de contrôle et tous les critères des concours publics. Sans que personne ne s’en rende compte, mis à part le régime du 25-juillet. Le fait de détecter et de virer ces dizaines de milliers de fonctionnaires aurait permis d’améliorer l’efficacité de l’appareil administratif en plus d’engendrer des économies sur la masse salariale de la fonction publique.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette supposée réforme qui fut l’un des chevaux de bataille du régime actuel ? Pourquoi plus personne des représentants du pouvoir n’en parle alors qu’ils ne faisaient que ça il y a quelques mois ? À la faveur de la mémoire toute relative d’une population happée par les difficultés du quotidien et de députés vassaux du pouvoir, cette réforme est passée à la trappe sans que personne ne s’en préoccupe.

On ne peut évoquer ces réformes censées « révolutionner » le pays et engager le pays dans une nouvelle ère sans parler de la réconciliation pénale. Des dizaines d’hommes d’affaires et de chefs d’entreprises ont été placés en détention le temps de justifier de la provenance de leur fortune. Officiellement, ces personnes doivent trouver un arrangement avec l’État pour restituer l’argent qu’ils ont volé. Ensuite, le plus grand des corrompus doit financer des projets au profit de la plus pauvre des délégations. Et ainsi, l’État aura récupéré l’argent volé par les méchants riches pour le réinjecter directement au profit des pauvres et des laissés pour compte.

Une belle image plus proche d’un conte de fées que de la réalité, car en définitive, seuls les avocats qui ont travaillé sur ce type d’affaires se sont faits de l’argent. Pour le reste, l’État est loin d’avoir récupéré son argent supposé et les suspects présumés sont toujours en prison avec l’ensemble de messages négatifs que cela envoie au niveau national et international. Pour rappel, le président de la République avait estimé que l’État devrait récupérer pas moins de treize milliards de dinars à travers cette réforme à laquelle il réfléchit depuis 2012. Le tout en l’espace de six mois. Inutile de rappeler également que les porte-voix, les mêmes à chaque fois, ont joué en chœur la symphonie de l’idée géniale qui allait non seulement rapporter de l’argent à l’État et sortir les régions de leur misère mais aussi rétablir la confiance dans l’économie tunisienne entre les différents intervenants, rien que ça ! Une commission de réconciliation nationale a été créée, et son patron, nommé par le président de la République, a été viré au bout de quelques mois. Les gens se rappellent tristement cette commission par une intervention épique de l’une de ses membres à l’occasion d’une visite du président. Elle avait affirmé, sans trembler, que l’un des dossiers soumis à la commission portait sur dix billions de dollars ! Emerveillé sur l’instant, le président de la République a fini par la virer. Une toute nouvelle commission a été formée depuis et le décret concernant la réconciliation pénale a été amendé. Mais s’il suffisait d’écrire des textes pour obtenir des résultats concrets, gouverner ne serait pas aussi difficile. Comme pour les autres réformes supposées, celle-ci a rejoint les autres dans le placard des « révolutions jamais vues dans le monde ». Toutefois, les chefs d’entreprises concernés croupissent encore en prison en attendant la suite qui sera donnée à ce dossier.

Attendons maintenant de connaître la prochaine lubie du régime qui nous sera présentée comme une énième révolution. Une astuce : surveillez les porte-voix.