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Quand il est dur d’avancer, ce sont les durs qui avancent

- Tunisie
janvier 27, 2025

 

Le mois de janvier touche à sa fin, marquant la fin de l’utilisation actuelle des chèques. Une formule qui date de l’invention des chèques et qui est la même partout dans le monde.

À partir de la semaine prochaine, un nouveau format de chèques entrera en vigueur. Entretemps, les anciens chèques ne sont plus acceptés. Depuis quelques jours, nous sommes confrontés à des situations ubuesques : les nouveaux ne sont pas encore arrivés et les anciens ne sont plus en vigueur. Comment payer les gros montants ? Chacun se débrouille comme il peut.

Aux recettes des finances, on refuse les chèques, mais aussi le paiement en espèces des montants dépassant les trois mille dinars. Les cartes bancaires sont souvent plafonnées et ne permettent pas d’effectuer des paiements de cinq chiffres et plus. Il en va de même pour les virements par téléphone portable, eux-aussi handicapés par des plafonds ridicules. Les banques sont d’ailleurs incapables de fournir des réponses claires aux clients. Dans les commerces, c’est la débandade totale. Nous sommes en pleine période de soldes, mais les magasins tournent à vide. Peu de clients passent à la caisse.

La situation est particulièrement critique dans les cliniques. On peut toujours reporter l’achat d’un téléviseur ou d’un réfrigérateur, mais pas le règlement d’une clinique en cas d’urgence médicale. Concrètement, ces derniers jours, on imposait aux gens de ramener des espèces pour payer leurs factures. Des espèces que même les banques n’ont pas dans leurs coffres et qu’il faut « commander » au moins 24 heures à l’avance pour les obtenir.

En résumé, le législateur n’a pas bien préparé le changement et a laissé face à face banquiers, commerçants, clients, et même les propres services de l’État.

Au lieu de prévoir une période de transition de six mois pour permettre aux anciens et aux nouveaux chèques de coexister, le régime de Kaïs Saïed a imposé des dates fermes et n’a accordé aucune marge de manœuvre. Abrupt comme toujours, il impose son diktat sans tenir compte des problèmes rencontrés par les citoyens et de leur urgence.

 

Un régime qui refuse le débat, l’expertise et les avertissements

Ce qu’a entrepris le régime de Kaïs Saïed avec le changement de la loi sur les chèques va non seulement mettre l’économie sur la glace, mais aussi ralentir la croissance. C’est déjà le cas, puisque la période de transition se déroule très mal.

L’histoire des chèques reflète la politique générale de Kaïs Saïed. Il décide, puis constate les conséquences par la suite.

Le régime ne sait pas mener d’études d’impact au préalable. Il ne sollicite pas l’avis des experts pour s’assurer que les changements répondent aux attentes. Il refuse tout débat public dans les médias pour discuter des projets de loi et des réformes. Il ne met pas en place de campagnes de communication explicatives et ludiques pour accompagner ses nouvelles lois.

Quand Kaïs Saïed a une idée, il la transcrit ou la fait transcrire sous forme de projet de loi, que son Parlement de 11% vote les yeux fermés, et les Tunisiens subissent ensuite ses conséquences. Il impose, le parlement dispose et les Tunisiens subissent.

On a vu ça avec le décret 54, la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, la loi sur les sociétés communautaires (cette idée stalinienne est une réelle absurdité économique qui a montré ses limites depuis plusieurs décennies), son décret de réconciliation qui n’a rien rapporté, ses multiples campagnes contre les spéculateurs qui ont engendré des inflations et des pénuries, son refus d’aller voir le FMI tout en s’endettant auprès de banques commerciales internationales aux intérêts usuriers, etc. Sa dernière « trouvaille » en date est la décision de recruter des enseignants vacataires, alors que rien n’a été prévu dans la loi de finances 2025 pour payer ces 14.266 nouvelles recrues. Le pouvoir n’est même pas capable de respecter sa propre loi, pourtant votée il y a quelques semaines à peine !

Les avertissements des médias, de l’opposition et des experts ont alerté suffisamment à l’avance du danger de certaines des idées de Kaïs Saïed, mais cela ne l’a jamais empêché de continuer tout droit vers le mur (ou vers le puits). En guise de réponse, il a crié au complot, au mépris des riches contre les pauvres (CQFD) et à la nécessité de ramener des idées nouvelles parce que les anciennes, dit-il, ont montré leurs limites.

Un dirigeant a le droit d’avoir de mauvaises idées, mais il n’a pas le droit de ne pas écouter les opinions contraires qui les réfutent en lui apportant des arguments solides. On ne peut pas, à chaque fois, se permettre de tomber dans le puits pour constater que c’en est un (proverbe tunisien).

 

Les Tunisiens subissent de plein fouet le diktat présidentiel

La situation étant ce qu’elle est, les Tunisiens subissent de plein fouet le diktat présidentiel. Les uns sont emprisonnés à cause du décret 54, d’autres le sont parce qu’ils ont refusé de payer des sommes astronomiques et irréalistes, d’autres encore ont fait faillite à cause de la guerre menée contre les prétendus spéculateurs.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines, et il est à parier que l’année 2025 enregistrera un nombre record de faillites de petits et moyens commerces qui ne subsistaient que grâce aux chèques antidatés. Les grands investisseurs, qui sont les seuls capables de créer des emplois et de relancer la croissance, sont dans l’expectative. Les uns ont peur d’être touchés par les vagues d’arrestations des hommes d’affaires et des plus nantis et se terrent. Les autres sont incapables d’avancer ne serait-ce qu’un iota, faute de visibilité suffisante, puisque la loi de finances 2025 est déjà en partie caduque à cause des décisions présidentielles irréfléchies.

Face à cette réalité amère, où il est difficile de progresser, seuls les plus résistants y parviendront.

Il faut en effet avoir des reins solides pour continuer à survivre sous un régime qui ne sait pas prévoir, qui ne sait pas anticiper, qui ne débat pas et qui n’écoute pas.

Les petits commerces qui ne subsistaient qu’avec les chèques antidatés vont devoir mettre la clé sous la porte. Ceux qui ont un bon bas de laine vont se réinventer et survivre.

Les malades qui ont de l’argent vont pouvoir entrer immédiatement dans les cliniques pour se soigner. Les autres ne pourront pas se soigner, car ils n’auront pas les moyens de payer leurs factures.

Ceux qui envisageaient de se marier ou de partir en vacances à crédit vont devoir reporter leurs projets. Seuls les plus nantis ont désormais droit au bonheur immédiat.

 

La sélection naturelle selon Darwin

Ce qui nous arrive là obéit à l’une des plus anciennes lois de la nature, voire la plus ancienne : celle de l’évolution. Telle que décrite par Charles Darwin, la sélection naturelle nous enseigne que les espèces qui ne s’adaptent pas aux changements vont devoir disparaître.

« Ce ne sont pas les espèces les plus fortes ou les plus intelligentes qui survivent, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements », disait-il en 1859.

Concrètement, Kaïs Saïed a imposé de nombreux changements dans le pays. Seuls ceux qui vont pouvoir s’adapter à ces changements vont pouvoir survivre. Ceci est valable pour les commerces, mais également pour les individus.

 

Je saute du coq à l’âne pour aller voir ce qui se passe sous d’autres cieux où l’herbe est plus verte.

Cette semaine, juste après son investiture, le 47e président des États-Unis Donald Trump a annoncé l’injection de quelque 500 milliards de dollars dans le méga projet Stargate de l’intelligence artificielle. Conscient que cette technologie est un changement majeur pour l’humanité toute entière et qu’elle va tout révolutionner, M. Trump a trouvé les fonds et les hommes capables d’opérer ce changement.

En chiffres plus concrets (source OCDE), les États-Unis ont investi en intelligence artificielle quelque 55 milliards de dollars en 2023. La Chine, plus modeste, a investi 18 milliards de dollars. L’Union européenne, encore plus modeste, a investi huit milliards de dollars, alors que la France, Israël, l’Allemagne et l’Inde ont investi deux petits milliards de dollars chacun.

En Tunisie, pas pressée d’opérer ce changement comme le reste de l’humanité, Kaïs Saïed a déclaré que l’intelligence artificielle est un danger imminent. En clair, le président Saïed est sceptique et ne semble pas prêt à opérer ce changement. Que disait Darwin à propos de ceux qui ne savent pas s’adapter aux changements ?

 

  • Titre inspiré par une citation apocryphe de John Fitzgerald Kennedy