Réforme économique en Tunisie : une nouvelle loi pour lutter contre la rente et favoriser lentrepreneuriat
« Prospérité économique, lutte contre la corruption et égalité des chances » : c’est ce que promettent les vingt députés signataires de la proposition de loi sur la liberté économique et la lutte contre l’économie de rente. Ce texte a été déposé à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et transmis à la commission des finances. En voici les grandes lignes.
La question d’une réforme législative profonde a toujours été au cœur des débats. De nombreux décideurs, acteurs économiques et experts soulignent la complexité des procédures et les obstacles rencontrés dans la promotion de l’entrepreneuriat et l’amélioration du climat des affaires. Certains élus ont même accusé l’administration tunisienne et le gouvernement de soutenir l’économie de rente et d’hésiter à entreprendre les réformes nécessaires.
Lors d’un passage médiatique le 14 janvier 2025, le député Dhafer Sghiri a évoqué la lenteur administrative dans le traitement des dossiers prioritaires. Il a cité l’exemple du code de change, théoriquement finalisé depuis longtemps, mais qui n’a toujours pas été présenté à l’ARP. Le député a également souligné la substitution des autorisations par des cahiers des charges et affirmé que l’économie tunisienne était fermée, rendant l’entrepreneuriat particulièrement difficile.
Les grandes lignes de la proposition de loi
Pour remédier à ces problèmes et débloquer la situation, vingt députés de blocs parlementaires différents ont déposé un texte comportant plus d’une dizaine d’articles. Ces articles abordent divers aspects, comme « La préservation de la concurrence loyale », « La sécurité juridique » et « La dépénalisation des crimes économiques ». Dès ses premiers articles, le texte affirme des principes forts :
- Article 1 : Droit à la liberté économique, sans intervention de l’État.
- Article 2 : Limitation de la pénalisation des activités économiques.
- Article 3 : Garantie de la liberté d’investir, sans autorisation préalable.
L’article 6 rappelle le principe de liberté de commercer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Cette proposition de loi s’inscrit directement dans la volonté de garantir la liberté d’entreprendre, un principe souvent évoqué par les experts économiques et les jeunes entrepreneurs. Si elle est adoptée telle quelle, la loi supprimerait toutes les autorisations administratives, sans recours aux cahiers des charges. Les entrepreneurs n’auraient plus à attendre l’obtention d’agréments ou de certificats des autorités tunisiennes.
Cependant, le texte précise que certains secteurs sensibles, tels que la sûreté nationale et la santé publique, seront toujours soumis à un système d’autorisation et de suivi par les autorités.
Le texte de loi insiste sur la nécessité de préserver et d’encourager la concurrence, notamment en combattant la monopolisation et les pratiques restrictives. Il interdit la promulgation de lois accordant des avantages à un acteur économique, sauf dans l’intérêt public. L’État est également invité à garantir un environnement juridique stable et sûr, propice aux investissements, tant nationaux qu’étrangers.
La dépénalisation des infractions économiques
La proposition de loi inclut aussi la dépénalisation des infractions et délits financiers. Elle propose des peines alternatives pour les délits non graves, sans impact significatif sur l’économie nationale. Cela inclut des amendes, du travail d’intérêt général et des possibilités de conciliation, au lieu de peines privatives de liberté.
L’État est également tenu de réviser régulièrement sa législation pour l’adapter au développement de l’économie nationale et mondiale. Il est prévu que des structures dédiées à la concurrence, à la coopération internationale et à l’investissement étranger soient activées pour soutenir ce processus.
Cependant, un point préoccupant de cette proposition est la création d’une carte spéciale permettant aux investisseurs d’accéder en priorité aux services administratifs. Bien que cela soit présenté comme un avantage pour encourager l’investissement, le texte ne définit pas clairement le terme « investisseur » ni les conditions d’attribution de ce privilège.
Des lacunes qui affaiblissent la loi
Bien que l’objectif de la proposition de loi soit louable, sa structuration laisse à désirer. Le texte manque de clarté et de précision sur certains points. Par exemple, les termes « économie nationale » ou « stabilité économique » sont utilisés sans définition précise, ce qui les rend plus proches d’un discours politique que d’une base législative solide.
De plus, la confusion entre « décriminalisation » et « dépénalisation » pourrait prêter à confusion. Le texte semble privilégier la substitution des peines privatives de liberté par des peines alternatives, mais cela soulève des questions, notamment en l’absence de précisions sur les types de délits concernés.
Enfin, la loi prévoit des mécanismes discriminatoires en faveur des investisseurs, ce qui semble contredire son objectif d’égalité des chances. De plus, l’article sur l’activation des structures de contrôle est flou et devrait être révisé pour clarifier l’organisation et le fonctionnement des agences concernées.
En conclusion, bien que cette proposition de loi comporte des lacunes, elle mérite d’être saluée. Les députés ont eu le courage de soumettre un texte visant à lutter contre les rentes et encourager l’investissement, contrairement à l’exécutif qui a échoué à prendre des mesures concrètes pour améliorer l’accès des jeunes à l’entrepreneuriat. Toutefois, il est essentiel que cette loi soit revue et améliorée avant d’être présentée en plénière à l’ARP.
Sofiene Ghoubantini