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Remaniement ministériel, pourquoi .

- Tunisie
février 05, 2025

 

Les rumeurs vont bon train autour d’un éventuel remaniement ministériel qui serait opéré dans les prochaines semaines. Les auteurs évoquent les rencontres répétées du président de la République avec son chef du gouvernement et le fait qu’il insiste, pratiquement à chaque fois, sur l’efficacité gouvernementale, sur la nécessité d’exécuter rapidement ses directives et sur le fait que chaque responsable doit être un soldat au service du pays, sinon il devra partir.

 

Des signaux d’insatisfaction présidentielle ?

Certains voient en ces remarques répétées la preuve d’une insatisfaction du président de la République, Kaïs Saïed, vis-à-vis du rendement de son gouvernement, qu’il avait constitué sous le slogan de la « construction et de l’édification ».

Après l’élection présidentielle, le deuxième et dernier mandat du président de la République doit porter sur l’accomplissement de réalisations concrètes aux niveaux social et économique. Selon les proches du régime, le premier mandat était consacré à l’assainissement de la scène nationale et à la mise en place de nouvelles institutions qui découlent d’une constitution elle-même nouvelle. Sauf que le chef de l’État semble se heurter à une réalité : la lourdeur de la grosse machine qu’est l’administration tunisienne. Il ne suffit pas de donner des ordres et des directives, aussi louables soient-elles, pour que l’exécution suive et que le résultat devienne palpable.

 

Un remaniement, reflet de luttes internes

Par ailleurs, comme dans tous les régimes, les rumeurs autour d’un remaniement ministériel, surtout quand elles sont périodiques comme c’est le cas, sont généralement la manifestation d’une lutte de pouvoirs au sein du même système. Des postes de ministres sont convoités, des postes de gouverneurs, d’ambassadeurs et de PDG, comme nous l’avons vu depuis des années. Des luttes intestines font subitement que tel ministre accomplit un travail exceptionnel et démontre une harmonie sans faille avec le président de la République, ou bien statuent que tel autre ministre est inefficace et n’a pas les compétences nécessaires pour accomplir son rôle tel que le conçoit le chef de l’État, qui lui avait donné sa confiance.

Évidemment, le chef de l’État, qui fait lui-même le casting de ses différents ministres, n’est jamais accusé de s’être trompé ou d’avoir fait un mauvais choix. Ce sont toujours les subalternes qui « trahissent » sa confiance.

 

Une ambiance délétère pour gouverner

Que les rumeurs sur un remaniement ministériel se concrétisent ou pas, il est clair que ce n’est pas l’atmosphère idéale pour un gouvernement qui souhaite avancer et accomplir des choses. Il est tout de même paradoxal que les soutiens du président de la République et la ribambelle d’individus qui prétendent parler en son nom soient à l’origine des mauvaises ondes infligées au gouvernement du même président.

Ouvrons quand même une parenthèse pour relativiser : même dans ce contexte de rumeurs autour d’un remaniement, le gouvernement actuel travaille dans une atmosphère autrement plus confortable que celle dans laquelle ont dû évoluer les gouvernements d’avant le 25 juillet. Aucune comparaison n’est possible. Toutefois, ce n’est pas ce qu’on nous avait promis. Il était attendu, à en croire les soutiens du chef de l’État, que la fonction exécutive travaillerait dans l’harmonie et la cohérence entre président de la République et gouvernement. Il était attendu également que la fonction exécutive travaillerait dans l’harmonie la plus totale avec une fonction législative qui avait eu du mal à définir ce qu’est l’opposition.

Tout devait se passer dans l’entente générale avec pour leitmotiv l’intérêt du pays et la rupture avec le passé. Quelques mois seulement après ces promesses, l’ensemble des acteurs, à quelques exceptions près, ont découvert que la réalité est bien différente.

 

Un nouveau remaniement, à quel prix ?

Il y a également une donnée politique importante à prendre en considération. L’actuel chef du gouvernement, Kamel Maddouri, a été nommé à ce poste en août 2024. Le large remaniement opéré par le président de la République deux mois à peine avant l’échéance électorale présidentielle avait fait couler beaucoup d’encre. Cela avait même « obligé » le président à répondre en affirmant que si l’intérêt du pays le commandait, il opérerait des changements gouvernementaux même à la dernière minute de son mandat.

Donc, le gouvernement actuel porte sur ses épaules cette charge implicite selon laquelle cette fois c’est la bonne, après les errements intitulés Najla Bouden et Ahmed Hachani. Cette fois, le président parie sur un gouvernement compétent qui va réellement changer les choses et concrétiser les volontés du président de la République, dont, par exemple, le fait que l’État retrouve son rôle social.

Par conséquent, changer, encore une fois, ce gouvernement-ci aurait des conséquences plus lourdes que les fois précédentes, parce qu’il en ira de la crédibilité et de l’aptitude de ce régime à réformer et à faire avancer les choses. Un énième remaniement sonnerait comme un aveu d’échec devant des difficultés que le régime peine à résoudre, sachant qu’il ne peut plus, de l’autre côté, invoquer des comploteurs ou des parties politiques pour leur faire porter la responsabilité de l’échec.

D’un autre côté, un énième remaniement décrédibiliserait encore plus les soutiens du président, qui avaient été dithyrambiques concernant Kamel Maddouri et l’équipe constituée autour de lui. Mais bon, ils ne sont pas à un camouflet près de la part du président.

Il y a aussi la marge de manœuvre réelle des ministres et de leur chef. Contrairement à ce que semble croire Kaïs Saïed et plusieurs de ses fans, il ne suffit pas de vouloir pour que les choses changent. Les finances publiques, la situation des caisses sociales ou la crise du logement ne vont pas se résoudre juste parce qu’on le veut très fort et qu’on est déterminé.

On aura beau nommer les meilleurs ministres, cela ne suffit pas, à lui seul, à résoudre les crises et à régler les problèmes. Changer les ministres, à fortiori à peine quelques mois après leurs nominations, ne permet pas de mettre en place de réelles réformes structurelles. Si, en plus, on leur impose un cadre intenable en termes de contraintes financières et de budgets serrés, l’équation devient insoluble. Les problèmes liés à la santé, au transport, à l’éducation, à l’économie, à l’agriculture et j’en passe, ne dépendent pas seulement de la qualité du ministre en place.

Ce qui est certain, c’est qu’un autre remaniement n’y changera pas grand-chose.