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un style de gouvernance anachronique et humiliant

- Tunisie
février 07, 2025

 

Entre limogeages brutaux et humiliations publiques, Kaïs Saïed impose un style de gouvernance autoritaire déconnecté des règles modernes du management, à rebours des pratiques observées dans les grandes démocraties. Ce comportement révèle une vision dépassée du pouvoir, fondée sur la peur plutôt que sur la confiance.

 

Depuis son accession à la présidence de la République tunisienne, Kaïs Saïed s’est distingué non seulement par ses choix politiques controversés, mais aussi par sa manière singulière de gérer son équipe gouvernementale. Les scènes de limogeages humiliants, souvent orchestrées sous l’œil de caméras complaisantes, révèlent un style de management qui interroge sur sa psychologie, ses motivations profondes et son rapport au pouvoir. Une analyse des mécanismes psychologiques qui sous-tendent ce comportement ainsi qu’un rappel règles d’un bon management s’impose, tant le contraste est frappant avec les pratiques observées dans les grandes démocraties.

 

Une psychologie du pouvoir basée sur l’humiliation

L’une des constantes de la présidence de Kaïs Saïed est la mise en scène récurrente de limogeages humiliants. Plusieurs exemples illustrent cette tendance :

–      Le 5 février 2025, Kaïs Saïed s’est rendu sans préavis au bureau de la ministre des Finances, Sihem Nemsia, l’accompagnant de caméras et de ses gardes du corps. Surprise et déstabilisée, la ministre est filmée alors qu’elle sursaute de derrière son bureau. Le président l’a publiquement réprimandé avant d’annoncer son limogeage quelques heures plus tard.

 

 

–      Le 7 août 2024, le chef du gouvernement Ahmed Hachani a été démis de ses fonctions par un simple communiqué nocturne, sans aucun signe de reconnaissance pour son travail. L’annonce a pris tout le monde de court, y compris le principal concerné.

–      Le 25 mai 2024, le président a convoqué Kamel Feki, ministre de l’Intérieur, et Malek Zahi, ministre des Affaires sociales, pour leur annoncer leur limogeage. Une photo diffusée par la présidence les montre crispés et anxieux, immortalisant leur humiliation publique.

 

 

–      Le 1er août 2023, la cheffe du gouvernement Najla Bouden a été écartée de façon expéditive par un communiqué laconique publié tard dans la nuit, sans la moindre formule de courtoisie habituellement de mise dans de telles situations.

–      Le 22 février 2023, le ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Nasreddine Nsibi, a été limogé suite à une visite inopinée du président dans un centre de formation délaissé à Ben Arous. La colère de Kaïs Saïed a été filmée et largement diffusée, précédant l’annonce officielle du limogeage.

Ces stratégies révèlent un rapport particulier au pouvoir, où la domination ne s’exerce pleinement que lorsqu’elle est visible et incontestable. Avec du spectacle devant les caméras et du surréalisme montrant un hypothétique chef tout-puissant humiliant des subordonnés dépourvus de toute possibilité de réplique. Avec ce populisme folklorique, Kaïs Saïed ne piétine pas uniquement le protocole et l’État, il piétine la dignité de ses ministres qui lui ont été loyaux et soumis.

 

Les règles d’un bon management : un contre-exemple tunisien

Dans le monde de l’entreprise comme dans celui de la gestion des affaires publiques, les principes d’un bon management sont universels : transparence, communication constructive, délégation de responsabilités et reconnaissance des performances. Un bon manager inspire par l’exemple, crée un environnement sécurisant où les idées peuvent émerger sans crainte de représailles. Or, Kaïs Saïed fait tout le contraire.

Son style rappelle celui d’un professeur du siècle dernier désireux de corriger des élèves indisciplinés plutôt que celui d’un leader inspirant. La gestion par la peur peut produire des résultats à court terme, mais elle est inefficace pour instaurer une dynamique de croissance et d’innovation. Les ministres deviennent des exécutants passifs, réticents à prendre des initiatives de peur d’être publiquement réprimandés.

 

Pratiques internationales : le contraste avec les grandes démocraties

Dans les démocraties matures, le limogeage d’un ministre est un acte rare et généralement entouré de formes respectueuses. Lorsqu’un scandale éclate, il est d’usage que le ministre concerné présente sa démission, préservant ainsi sa dignité personnelle et celle de l’institution qu’il représente. Le Premier ministre britannique ou le président français, par exemple, procèdent souvent à des entretiens privés avant toute annonce publique, assortis de communiqués valorisant le travail accompli.

L’Allemagne, autre exemple, offre un modèle de gouvernance basé sur le dialogue et la concertation. Les chanceliers allemands travaillent en étroite collaboration avec leurs ministres, favorisant un climat de coopération plutôt que de confrontation. Aux États-Unis, bien que le président dispose du pouvoir de nommer et de limoger ses collaborateurs, il le fait généralement dans le cadre d’une procédure transparente et respectueuse.

En Tunisie, Kaïs Saïed détourne ces pratiques au profit d’une mise en scène autoritaire. Son comportement paraît anachronique, à l’image des régimes autocratiques du passé, où le pouvoir était érigé en spectacle permanent. Cette approche contraste fortement avec les standards du XXIe siècle, où l’humilité, la responsabilisation et la gestion participative sont les clés de l’efficacité gouvernementale.

 

Le pouvoir par la peur

L’attitude de Kaïs Saïed s’apparente à une forme de despotisme moderne. Là où ses homologues cherchent à construire des équipes solides basées sur la compétence et la confiance, lui semble préférer la soumission et la peur. Cette obsession du contrôle total traduit une vision verticale du pouvoir, où l’individualité des ministres est niée au profit d’une autorité présidentielle omnipotente.

Ce style de gouvernance n’est pas sans conséquences : il freine l’engagement des talents, dissuade les esprits brillants de rejoindre l’administration et contribue à une instabilité chronique au sommet de l’État. En cultivant l’ingratitude et le mépris plutôt que la reconnaissance et la gratitude, Kaïs Saïed isole progressivement son pouvoir, le rendant dépendant de courtisans dociles plutôt que de collaborateurs compétents.

 

Le prix d’un leadership despotique et déconnecté

En somme, la gestion autoritaire de Kaïs Saïed est un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire en matière de management, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un État. Son besoin d’humilier révèle des failles profondes dans sa conception du pouvoir et un déni des principes fondamentaux du leadership moderne. Tandis que les grandes démocraties évoluent vers des modèles plus inclusifs et respectueux, la Tunisie, sous sa présidence, semble tourner le dos aux avancées managériales contemporaines.

 

Cet isolement et ce mépris du capital humain finiront par fragiliser l’ensemble de l’appareil d’État, car un pouvoir fondé sur la peur est un pouvoir voué à l’échec. Kaïs Saïed, en persistant dans cette voie, risque non seulement d’affaiblir son propre leadership, mais aussi de compromettre durablement la stabilité et l’efficacité de l’administration tunisienne.

 

Maya Bouallégui