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Qui contrôle les associations en Tunisie .

- Tunisie
février 11, 2025

Le Haut Comité du Contrôle Administratif et Financier a publié un rapport sur le tissu associatif en Tunisie, mettant en lumière de nombreux dysfonctionnements au sein de l’appareil de l’État pour contrôler les associations, mais aussi pour les aider dans l’énorme travail qu’elles accomplissent.

 

Le président de la République a reçu mardi 28 janvier 2025 Imed Hazgui, président du Haut Comité de Contrôle Administratif et Financier (HCCAF), relevant de la présidence de la République, qui lui a remis le 29ᵉ rapport annuel du Comité.

Le rapport en question, de six cents pages, est fort attendu par les analystes et les politiciens et a été rendu public mercredi 5 février 2025.

Ce 29e rapport est similaire aux autres des années précédentes. Il est très riche en informations précises et utiles. Il épingle les différentes institutions du pays, qu’elles soient publiques ou privées, avec force détails. Réputé pour son sérieux et son travail de fourmi, le HCCAF ne déroge pas à sa règle et ne se limite pas à révéler les irrégularités, il propose également des recommandations.

Pour son travail relatif aux associations, le HCCAF s’est basé sur le 32e rapport de la cour des comptes dont les contrôles couvrent la période 2015-2019. Le HCCAF a entamé ses travaux en mars 2023, a présenté ses remarques aux intéressés puis est revenu à la charge en juin 2023 pour voir si ses recommandations ont été suivies d’effets.

La partie réservée aux associations du rapport, couvre dix pages et met en évidence des failles majeures dans la régulation des associations, du suivi de leurs financements et de vérification quant à la légalité et les intentions de leurs travaux.

 

Une croissance fulgurante du tissu associatif

Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a connu une véritable explosion du nombre d’associations, reflet d’une société civile en quête d’expression et d’engagement. En moins d’une décennie, le pays est passé de quelques milliers d’associations à près de 25 000 en février 2024. Cette croissance exponentielle s’accompagne toutefois de défis majeurs, notamment en matière de transparence financière et de gouvernance.

Le paysage associatif tunisien a été profondément transformé après 2011. L’assouplissement du cadre légal et la liberté d’association ont favorisé la création de structures actives dans des domaines variés : droits de l’homme, développement local, éducation, environnement, santé, culture, etc. De 21 associations bénéficiant de financements étrangers en 2010, on est passé à 1 385 en 2019, illustrant l’intérêt grandissant des bailleurs internationaux pour la société civile tunisienne.

Cette dynamique témoigne d’un engagement citoyen renforcé et d’une volonté de participer activement à la construction d’une démocratie plus inclusive. Cependant, cette expansion rapide n’est pas sans conséquences. La création massive d’associations pose la question de leur viabilité, de leur gestion interne et de leur rôle réel dans le tissu socio-économique tunisien.

 

Les défis de la transparence financière

Le rapport annuel 2023 du HCCAF met en lumière des failles importantes dans la gestion des financements étrangers des associations tunisiennes. L’audit, couvrant la période 2015-2019, révèle plusieurs dysfonctionnements :

1. Manque de coordination institutionnelle : il existe une défaillance notable dans la collaboration entre les différentes parties prenantes (Banque centrale, ministères des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, présidence du gouvernement). Cette fragmentation entrave un suivi efficace des flux financiers.

2. Données incomplètes : la Banque centrale de Tunisie ne dispose pas d’informations exhaustives sur les financements reçus. Son rôle se limite au contrôle des règles de change, sans vérification approfondie de l’origine des fonds ni de leur utilisation.

3. Suivi insuffisant des programmes de coopération : le ministère des Affaires étrangères ne suit pas rigoureusement les financements accordés directement par les ambassades ou via des accords bilatéraux, créant des zones d’ombre sur certains flux financiers.

4. Contrôle a posteriori limité : la Direction générale des associations et des partis politiques peine à imposer aux associations le respect des obligations de transparence prévues par le décret n°88 de 2011.

 

Un cadre réglementaire à renforcer

Face à ces constats, le HCCAF recommande plusieurs mesures :

– Améliorer la coordination interinstitutionnelle pour assurer un contrôle plus rigoureux.

– Mettre en place une base de données nationale centralisée sur les financements des associations.

– Renforcer les capacités des organes de contrôle en matière d’audit financier.

– Réviser le cadre légal afin d’imposer des obligations de transparence plus strictes.

 

Cependant, le taux de mise en œuvre des réformes recommandées par le HCCAF demeure faible, à peine 4 %, illustrant la réticence ou les difficultés des institutions concernées à appliquer ces recommandations.

 

Le rôle ambigu des financements étrangers

Les financements internationaux constituent une ressource essentielle pour de nombreuses associations tunisiennes, notamment celles actives dans les domaines des droits humains et du développement. Toutefois, l’opacité entourant certains de ces flux financiers alimente des suspicions sur d’éventuelles ingérences étrangères ou des utilisations frauduleuses des fonds.

Certains observateurs soulignent que cette situation pourrait être exploitée à des fins politiques, dans un contexte où la liberté d’association est parfois remise en question. Il est donc crucial de trouver un équilibre entre la nécessité de transparence et la protection des libertés fondamentales.

 

Vers une société civile plus résiliente

Malgré ces défis, la société civile tunisienne reste un pilier essentiel de la démocratie. Les associations jouent un rôle crucial dans la défense des droits, la promotion de la participation citoyenne et le développement communautaire. Renforcer leur transparence et leur gouvernance ne doit pas être perçu comme une menace, mais comme une opportunité de consolider leur crédibilité et leur impact.

Au-delà des aspects financiers, il est essentiel de s’intéresser à l’impact réel des associations sur la société tunisienne. Ces organisations contribuent à la création d’emplois, à la lutte contre la pauvreté, à l’amélioration des services sociaux et à la réduction des inégalités. Elles agissent comme des catalyseurs de changement, favorisant l’innovation sociale et la cohésion communautaire.

Par exemple, dans les régions défavorisées, de nombreuses associations ont mis en place des programmes de soutien scolaire, des initiatives pour l’inclusion des personnes handicapées, ou encore des projets visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin. Ces actions ont un impact direct sur la qualité de vie des populations locales.

 

Les défis internes des associations : gouvernance et durabilité

Malgré leur rôle positif, de nombreuses associations tunisiennes font face à des problèmes de gouvernance interne. Le manque de compétences en gestion, l’absence de plans stratégiques clairs, et la dépendance excessive aux financements externes peuvent limiter leur efficacité et leur durabilité.

Pour remédier à ces défis, il est nécessaire de renforcer les capacités des acteurs associatifs en matière de gestion financière, de planification stratégique et de communication. Le développement de partenariats locaux et la diversification des sources de financement peuvent également contribuer à renforcer leur indépendance et leur résilience.

L’avenir du secteur associatif en Tunisie dépendra de la capacité des acteurs publics et privés à collaborer pour créer un environnement favorable à une société civile dynamique, transparente et indépendante. Les défis sont nombreux, mais les opportunités le sont tout autant. En travaillant ensemble, il est possible de renforcer le rôle des associations comme moteurs de développement et de démocratie en Tunisie.

 

Maya Bouallégui

Cliquer ici pour lire la partie réservée aux associations dans le rapport du HCCAF