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Ces filles qu’on a gavées d’hormones pour éviter qu’elles deviennent “trop grandes”

- Business
mars 10, 2025

“Qui décide qu’une fille est trop grande, et sur quelle base ?” Dans le cas des six femmes que De Standaard Weekblad a rencontrées, c’est le médecin qui, lorsqu’elles étaient enfants, leur a prédit une taille adulte “excessive” et a encouragé leurs parents à agir. C’est-à-dire à leur administrer un traitement hormonal pour accélérer la puberté et limiter leur croissance.

Aujourd’hui, elles font entre 1,77 mètre et 1,86 mètre, “une taille que nous trouverions plus que banale chez un homme”, note le magazine belge. L’une d’elles se souvient de l’avertissement lancé par son médecin : “Tu ne trouveras jamais de mari si tu es plus grande que les hommes.” Sa solution ? Un traitement loin d’être anodin, alerte l’hebdomadaire dans son dossier.

Troubles psychiques

“En Belgique, la plupart des filles concernées ont pris de l’éthinylestradiol, une hormone de synthèse que l’on retrouve aussi dans la pilule contraceptive, indique-t-il. Sauf que, dans le cas des bloqueurs de croissance, le dosage était beaucoup plus élevé : il était généralement de 200 microgrammes, soit sept pilules contraceptives, ou une pilule du lendemain.”

“Cette ‘bombe hormonale’ leur a été administrée sur une base quotidienne, pendant en moyenne deux ans.”

Cela n’a évidemment pas été sans conséquence sur le corps de ces enfants, dont les règles sont arrivées soudainement. Comme le confirme l’endocrinologue Jean De Schepper : “Elles ont pris du poids rapidement […] et elles ont parfois vu leur poitrine se développer de façon irrégulière. Beaucoup en sont tombées malades : nausées, maux de tête […].” L’une des femmes a arrêté le traitement après avoir constaté de lourdes conséquences sur son état psychique. Surtout, personne n’a informé ces six femmes du risque que ce traitement présentait pour leur fertilité.

Comme le constataient déjà des journalistes américaines en 2009 et un documentaire néerlandais en 2021, il est difficile d’évaluer le nombre de personnes concernées. Car même lorsqu’on dispose des chiffres de vente de ces médicaments, on ne sait pas à quelles fins ils ont été prescrits. En 2012, le chercheur Emile Hendriks avait estimé que quelque 1 500 à 2 000 jeunes filles avaient été traitées de la sorte aux Pays-Bas entre 1968 et 1999.

Cinq centimètres de moins

“Dans les années 1990, des médecins ont commencé à s’interroger sur les effets à long terme de ces bloqueurs de puberté”, reprend De Standaard Weekblad. En 1998, une étude concluait déjà que “d’un point de vue strictement médical, ces traitements n’ont aucun fondement” – ils ne répondent à aucun problème de santé. En 2004, “une enquête à grande échelle paraissait dans la revue scientifique The Lancet. Sa conclusion est glaçante : les femmes qui ont pris des bloqueurs de croissance présentent plus souvent une fertilité réduite.” La plupart des médecins réduisent alors sensiblement la dose quotidienne d’éthinylestradiol, rapporte le journal.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? En Belgique, il n’existe pas de chiffres sur l’usage actuel de ces traitements. L’équivalent belge d’Ameli explique que si les œstrogènes de synthèse continuent d’être prescrits pour différentes finalités, les données ne disent pas dans quelles proportions.

“Ironiquement, le ‘gain’ moyen d’un tel traitement n’est que de cinq centimètres, écrit encore De Standaard Weekblad. Qui décide que ça vaut le coup ?” C’est d’autant plus absurde, souligne le magazine, que les moyennes sont variables selon les régions du monde. Une personne traitée en Belgique pour sa taille “excessive” aurait pu se trouver dans la moyenne de l’autre côté de la frontière néerlandaise, où l’on détient le record mondial de taille moyenne.

Au bout du compte, Anne-Sophie aurait préféré être plus grande : “Je jouais au volley. Si j’avais fait 1,86 mètre au lieu de 1,81 mètre, j’aurais peut-être pu devenir pro”. Caroline aussi a le sentiment qu’on lui a retiré quelque chose : “Je n’atteindrai jamais 1,90 mètre, et, parfois, je trouve ça dommage. Mon corps en avait la possibilité, et d’autres me l’ont interdit.”