Un mois après la chute du régime de Bachar Al Assad, des milliers de Syriens continuent de rechercher leurs enfants et leurs proches dans les prisons du régime déchu dans l’espoir d’avoir une information fiable sur leur sort.
Dans la prison de sinistre renommée de Saydnaya, près de Damas, les familles qui n’ont pas retrouvé leurs proches vivants ni leurs cadavres, ont pu au moins tomber sur des archives qui les renseignent sur le sort qui a été réservé aux prisonniers disparus. Dans les archives retrouvées, on apprend que des prisonniers ont été exécutés.
C’est le cas de Mohammed Khaldoun, un petit-fils de l’Emir Abdelkader. Ce dernier a laissé une nombreuse descendance en Syrie depuis qu’il s’y est installé en 1855. Grâce aux archives qui n’ont pas été détruites, la famille de Mohammed Khaldoun, sans nouvelles de lui depuis qu’il a été arrêté par le régime de Bachar Al Assad en juin 2012, a appris qu’il a été exécuté en 2015.
Qui était Mohammed Khaldoun ?
Mohammed Khaldoun Al Hassani Al Jazairi, né à Damas en 1970, était à la fois un docteur en dentisterie et un chercheur en droit musulman spécialisé dans la doctrine malékite et la doctrine chafiite. A ce titre, il est habilité à prononcer des fatwas.
Son père, Mekki Al Hassani, est un des premiers diplômés en physique nucléaire dans le monde arabe et aussi un linguiste reconnu puisqu’il fut secrétaire général de l’académie de la langue arabe à Damas. Du côté de son père, Mohammed Khaldoun descend du grand frère de l’émir Abdelkader, Abd Al Baki Ben Mohammed Said. Du côté de sa mère, il est un petit-fils direct de l’émir Abdelkader puisque son grand-père maternel n’est autre qu’Abd Al Madjid, fils de la fille de l’Emir Abdelkader, la princesse Kathoum.
Même s’il était spécialisé dans la doctrine malékite, Mohammed Khaldoun était ouvert aux trois autres écoles de jurisprudence islamique et plus particulièrement à la doctrine chafiite qu’il a étudiée durant sept ans sous la supervision des savants chafiites Sadek Habnaqa et Mustapha Al Bagha.
Il a étudié la science du Tafsir à partir de 1989 auprès du cheikh Abd Al Karim Rajeh et la science du Hadith auprès du cheikh Abdelkader Al Arnaout. Il a appris le Coran et les sciences islamiques sous la supervision de plusieurs savants reconnus à l’instar de son oncle Abd Al Rahmane ben Abd Al Madjid Al Hassani. Il a appris les dix récitations rituelles du Coran sous la supervision du savant hanafite Mahmoud ben Joumoua Abid. Il a appris à l’âge de 14 ans le Sahih de Muslim (un des six grands recueils de la tradition prophétique et le second après le Sahih d’Al Boukhari)
Dans les sciences profanes, il a laissé des travaux sur l’histoire, la langue et la poésie arabe. A cet égard, il a participé à un congrès consacré à « la poésie de Abou Firas Al Hamadani et de l’Emir Abdelkader », tenu à Alger du 31 octobre au 3 novembre 2000.
Un savant et un martyr
Sa noblesse de caractère et sa civilité auraient pu l’éloigner des affaires politiques et lui épargner ainsi les tourments infligés par le régime liberticide de Bachar Al Assad mais son sens de la justice et de l’honneur lui a dicté de suivre la voie périlleuse de l’opposition active à un régime injuste.
Comme l’a souligné le chercheur syrien en jurisprudence chafiite, Mustapha Al Khan : « Sa douceur et sa noblesse de caractère n’ont pas été une barrière entre lui et la justice. Son éducation auprès des plus grands savants de son époque qu’il n’hésitait pas à consulter à chaque fois que c’était nécessaire, ajoutée à e que Dieu lui a inspiré en matière d’audace lorsqu’il s’agit de défendre la Loi de Dieu et son prophète et sa noble descendance et à son statut de petit-fils du prince des Moudjahidines, l’Emir Abdelkader Al Jazairi, ont fait qu’il a mérité d’être un guide sur la voie de Dieu et de son prophète et un conseiller pour tous les musulmans » (Al Jazeera, 07/01/2025)
Arrêté une première fois le 26 décembre 2008 par le régime syrien à la suite de la publication d’un ouvrage théologique à caractère polémique, Mohammed Khaldoun a été arrêté une seconde fois, après le déclenchement de l’insurrection contre le régime d’Assad, le 6 juin 2012 et conduit à une destination inconnue qui s’est finalement avérée être la prison de sinistre réputation Al Saydnaya, près de Damas.
Mohammed Khaldoun fut condamné à mort. Malgré de nombreuses interventions émanant d’organisations humanitaires, de sa famille et de la Fondation Emir Abdelkader en Algérie – cette dernière ayant interpelé le président algérien de l’époque, Abdelaziz Bouteflika en vue d’intercéder en sa faveur auprès du régime syrien mais en vain -, Mohammed Khaldoun, dont on n’a pas eu de nouvelles depuis, a été finalement exécuté en 2015, selon les archives découvertes dans la prison d’Al Saydnaya, après la chute du régime de Bachar Al Assad.
Les enseignements d’une vie au service de la Vérité et de la Justice
Le meilleur hommage qu’on puisse rendre aujourd’hui à la mémoire d’un juste parmi tant d’autres, qui n’ont pas hésité à sacrifier leur vie pour que force revienne au Droit, est de se rappeler les principaux enseignements que nous inspire leur conduite dans des circonstances aussi tragiques.
En alliant une noble profession médicale au service de la santé de ses concitoyens à côté de son intérêt pour les sciences religieuses, Mohammed Khaldoun a renoué avec la belle tradition musulmane de ses aïeux qui a toujours défendu l’idée selon laquelle la vocation spirituelle du musulman ne doit jamais être séparée de sa vocation terrestre dans le cadre du principe de « la commanderie du bien et de l’interdiction du mal ».
Mohammed Khaldoun était un savant mais il ne s’est pas contenté d’une vie de Savoir loin des tumultes de son monde. Il a mis son savoir au service de la lutte contre l’injustice et l’oppression malgré le coût exorbitant de cette lutte. Fidèle à l’enseignement du Prophète et de son grand-père, l’Emir Abdelkader, Mohammed Khaldoun vécut et mourut à la fois comme savant et comme moudjahid pour le Droit et la Justice.
Même si on peut regretter son refus assumé de plonger dans le Kalam (théologie rationnelle des premiers siècles de l’islam) et de la Falsafa par crainte d’alimenter la scission de la société musulmane, Mohammed Khaldoun a fait preuve d’une grande ouverture d’esprit si on tient compte de l’environnement sunnite hérité de la décadence multiséculaire de la tradition sunnite.
Bien que rattaché à l’école Malékite par sa tradition familiale, Mohammed Khaldoun a étudié les autres doctrines, notamment la doctrine chafiite et la doctrine hanafite. Mieux, il a tenté d’en ressortir les éléments les plus pertinents et les plus adaptés à son époque.
Malgré les tentations de sa triste époque, Mohammed Khaldoun n’a pas succombé comme tant d’autres théologiens et prédicateurs, aux sirènes du salafisme wahhabite qui a pollué durant ces dernières décennies le monde musulman.
En cela, Mohammed Khaldoun a été fidèle à son grand-père, l’Emir Abdelkader mais aussi aux pionniers de la Nahda contemporaine qui ont cherché à surmonter les querelles stériles et paralysantes alimentées par les épigones sectaires des différentes écoles juridiques, et ce, grâce à une nouvelle interprétation du corpus coranique et de la Tradition prophétique qui n’hésite pas à s’inspirer des acquis méthodologiques des sciences modernes.
Comme des milliers d’autres victimes de la violence du régime déchu, le corps de Mohammed Khaldoun n’a pas été retrouvé mais son âme pieuse continuera d’éclairer tous ceux qui cherchent un peu de lumière authentique, loin des projecteurs éblouissants de la société de consommation que les Marchands du Temple utilisent pour imposer le formatage des esprits à travers les médias mainstream à leur solde.