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Après trois ans de guerre en Ukraine, beaucoup de Russes se réfugient dans « une boîte noire intérieure »

- Monde
février 22, 2025

Loin du front militaire, Ania vit au jour le jour les méfaits de « cette guerre qui n’en finit pas… » La jeune psychologue, qui a requis l’anonymat, suit des soldats de retour du front mais aussi des civils : des cadres supérieurs d’entreprises publiques, des informaticiens exilés puis revenus, des adolescents sous le choc. Dans son petit cabinet niché au sous-sol d’un bâtiment du centre de Moscou, de simples Russes lui confient leurs troubles, déchirés par trois ans d’« opération militaire spéciale », selon les mots du Kremlin, lancée en février 2022 en Ukraine. Dans l’intimité, Ania les reçoit et les accompagne.

Dans la plupart des cas, ce sont davantage des troubles que des pathologies. Il s’agit de parler avec ces opposants à la guerre, contraints en public de faire semblant de la soutenir. « Je les aide à apaiser diverses formes de stress nées de la difficulté d’errer entre deux vies parallèles et contradictoires. Dans certains cas, cela ressemble à une forme de schizophrénie », constate Ania qui, souvent, mène ses consultations jusqu’à tard le soir.

« L’ampleur des dissonances de leurs doubles vies, entre soutien apparent au Kremlin et opposition intérieure au régime et à sa guerre, empire avec le temps. Comment vivre à terme avec ce sentiment de culpabilité ? », s’interroge la psychologue, jointe par téléphone sur un réseau sécurisé. Sage précaution alors que, ces derniers mois, la répression de toute voix critique s’en prend souvent aux journalistes, aux avocats, aux médecins…

« Il faut parfois attendre cinq rencontres avant que la parole se libère, raconte Ania, régulièrement contactée par de nouveaux patients. Leur paradigme a été balayé par la réalité. Ils se créent de nouvelles chaînes logiques et se disent dans leur for intérieur : “J’ai une idée de la vie mais les autres, l’Etat, le système, m’en imposent une autre.” La plupart ne peuvent pas se défendre et réagissent en se refermant. » Comme sous l’URSS, de nombreux Russes vivent ainsi dans une forme d’« immigration intérieure ».

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