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Cannes 2025 – Un silence assourdissant du pavillon tunisien

- Monde
juin 02, 2025

Pour la 78e édition du Festival de Cannes, la Tunisie réaffirme sa présence au sein du Village International, dans l’espace Pantiero, avec un pavillon officiel organisé par le Centre national du cinéma et de l’image (CNCI), sous la tutelle du ministère des Affaires culturelles. Un espace censé incarner l’essor du cinéma tunisien, créer des ponts avec l’international, faire rayonner les talents locaux. Pourtant, si la structure est bel et bien là, son animation et sa visibilité posent question.

Hier, jour d’ouverture du Festival, le pavillon a ouvert ses portes. Mais sans programme. Jusqu’à l’après-midi, aucun événement n’était annoncé, aucune communication officielle n’avait été diffusée, aucune invitation n’avait été envoyée. Ce n’est que tard dans la soirée qu’un communiqué a été publié sur la page Facebook du CNCI, énumérant les quelques rendez-vous prévus cette année. Les voici :

Le mercredi 15 mai à 19h, un hommage sera rendu à l’équipe du film Promis le ciel de la réalisatrice Erige Sehiri, sélectionné dans la section Un Certain Regard. Un rendez-vous symbolique pour saluer la présence d’un film tunisien dans la sélection officielle et souligner la continuité d’un regard sensible sur la jeunesse, après Sous les figues en 2022.


Le vendredi 17 mai à 11h, une rencontre médiatique autour de la 36e édition des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) permettra aux organisateurs de présenter les grandes lignes de la prochaine édition, ses orientations, ses nouveautés, et – peut-être – ses ambitions en matière de rayonnement régional et international.


Le dimanche 19 mai à 11h, une table ronde intitulée Le cinéma tunisien entre passé et présent réunira professionnels et observateurs autour des enjeux de la mémoire cinématographique, des mutations de l’industrie, et des nouvelles voix émergentes du paysage tunisien. Un moment potentiellement fort, à condition qu’il soit bien relayé, ouvert et réellement inclusif.

 

Trop tard. Beaucoup trop tard. À Cannes, le temps ne se prend pas : il se réserve. Dès les jours précédant l’ouverture, les professionnels finalisent leurs agendas, répondent aux nombreuses sollicitations, sélectionnent panels, réceptions, rencontres. Leurs plannings sont verrouillés bien avant l’ouverture du festival. Dans ce contexte, annoncer un programme la veille du Festival revient à espérer qu’il leur reste “un petit créneau pour les Tunisiens”… si possible.

Pendant ce temps, d’autres pays ont montré un tout autre niveau de préparation et de stratégie. Les pavillons égyptien, irakien, jordanien, palestinien – pour ne citer qu’eux – communiquent depuis plusieurs semaines. Ils ont partagé leurs programmes d’événements, les noms de leurs invités, les thématiques de leurs panels, les projections prévues. Leurs contenus circulent sur les réseaux sociaux, sont relayés par les médias, envoyés par newsletters, accompagnés de visuels soignés, de photos, d’affiches, de vidéos. Ils communiquent en arabe, en anglais, parfois en français, touchant ainsi un public international, large et diversifié.

Et côté tunisien ? Un seul communiqué, diffusé tardivement, rédigé uniquement en arabe, publié sur la page Facebook du CNCI. Aucun visuel. Aucune traduction. Aucun relais presse. Une communication minimaliste, inefficace, déconnectée des exigences d’un marché international. Comment attirer producteurs, distributeurs ou investisseurs potentiels si l’on ne parle pas leur langue, si l’on ne leur adresse pas un message clair, structuré, engageant ? Le pavillon tunisien semble figé dans un fonctionnement dépassé, à contretemps du rythme cannois.

Pourtant, l’ambition annoncée est louable : faire du pavillon un espace de rencontres, de réseautage, de valorisation du cinéma tunisien.

L’édition 2025 devait encore travailler sur un axe : promouvoir la Tunisie comme terre de tournage. Mais là encore, encore faut-il que le pavillon soit à la hauteur de cette ambition.

Tunisie, terre de tournage – un slogan qu’on ressasse depuis de très longues années. Je pourrais même retrouver des photos que j’avais prises en 2013 lors de mon premier Festival de Cannes, où déjà la Tunisie essayait de communiquer sur ce thème en collant quelques affiches. Mais concrètement, que signifie aujourd’hui cette volonté, au-delà de quelques posters accrochés au pavillon ou dans les rues de Cannes ? Où est le programme articulé, pensé pour valoriser le territoire tunisien comme espace de création cinématographique ? Quelle stratégie a été déployée ? Quel réseau mobilisé ? Quelle campagne de communication visible, cohérente, multilingue a été lancée ? Qui va parler de la Tunisie comme destination de tournage ? Des techniciens ? Des producteurs ? Des cinéastes ? Des partenaires internationaux ayant tourné en Tunisie ? Rien n’a été annoncé à ce jour. Aucun détail, aucun nom, aucune campagne d’invitation, aucun relais dans les médias professionnels. Ce manque d’anticipation nuit gravement à l’impact potentiel de ces initiatives.

On annonce un hommage à l’équipe de Promis le ciel. C’est bien. Mais très insuffisant. Cette année, la Tunisie aurait pu – et dû – faire beaucoup plus. Pour la première fois dans l’histoire de sa présence à Cannes, un film tunisien ouvre la section Un Certain Regard, la deuxième compétition la plus importante du Festival. Promis le ciel d’Erige Sehiri, porté par de jeunes actrices non-professionnelles et ancré dans une réalité sociale vibrante, bénéficiait d’un positionnement exceptionnel, une rare opportunité de visibilité internationale.

Mais qu’a fait le CNCI pour promouvoir ce film ? Qu’a fait le pavillon tunisien ? À ma connaissance : rien. Aucun communiqué spécifique. Aucune mise en avant du film dans les jours précédant le Festival. Aucune invitation envoyée aux professionnels, aux journalistes, aux décideurs pour venir rencontrer l’équipe ou assister à un événement autour du film. Pas même une affiche visible au pavillon pour rappeler que ce film-là, celui qui ouvre Un Certain Regard, est tunisien.

On annonce une table ronde sur le cinéma tunisien entre passé et présent. Très bien. Mais qui sont les participants ? Quelles sont leurs spécialités ? Y aura-t-il seulement des Tunisiens ? Des noms connus pour attirer l’attention ? Une personnalité forte comme Hend Sabry, par exemple ? Ailleurs, les stars sont là : Hussein Fahmy, Youssra, Amina Khalil…

Autant de leviers pourtant disponibles pour construire une présence forte et cohérente : un film en ouverture d’Un Certain Regard, porté par une cinéaste déjà saluée à Cannes, l’émergence d’une nouvelle génération de talents, un attrait renouvelé pour les tournages en Tunisie… Tous les éléments étaient réunis pour initier une stratégie de communication audacieuse, actuelle, alignée sur les standards d’un événement comme Cannes.

À l’heure où les autres pays du monde arabe construisent une diplomatie culturelle active, cohérente, et fièrement portée sur la scène internationale, la Tunisie continue de donner l’image d’un acteur désorganisé, en décalage avec les usages professionnels actuels, incapable de transformer ses atouts en véritables opportunités.

Pourtant, les compétences sont là. La Tunisie regorge de jeunes professionnels créatifs, engagés, capables de penser et d’agir avec les méthodes modernes du milieu international. Il faudrait simplement leur faire confiance, leur donner les moyens, et surtout leur permettre d’agir à temps.

Espérons que les prochains jours permettront de rattraper, ne serait-ce qu’un peu, ce manque d’initiative. Mais à Cannes, les occasions perdues se rattrapent rarement.

Neïla Driss