Les commentateurs allemands ont choisi le nom d’une arme dont l’efficacité s’était montrée redoutable pendant la deuxième guerre mondiale, le bazooka, pour caractériser l’impact potentiel du plan avancé, mardi 4 mars, par le futur chancelier conservateur allemand, Friedrich Merz, et ses partenaires sociaux-démocrates dans la coalition en cours de négociation. Ce « double bazooka » économique constitue en effet une avancée majeure de Berlin pour reprendre le dessus face à des défis d’ampleur historique, intérieurs et extérieurs.
Ce plan prévoit d’abord une réforme du frein à l’endettement, mécanisme ancré dans la Constitution qui bloque depuis de longues années l’investissement public dans un pays aux infrastructures vieillissantes et à la défense notoirement sous-financée. Une telle réforme de la discipline budgétaire devrait permettre l’augmentation des dépenses militaires qu’exige la situation actuelle en Europe. Cette mesure, qui lève un tabou politique allemand, est assortie de la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur dix ans destiné à moderniser les infrastructures (routes, trains, écoles).
Cette politique à double détente vise deux objectifs : relancer la croissance économique allemande, en récession depuis deux ans à la suite du choc de la guerre en Ukraine ; et permettre à Berlin de reprendre sur la scène européenne un leadership qui a souffert de la faiblesse du prédécesseur de Friedrich Merz, Olaf Scholz.
La décision doit encore être approuvée par la majorité des deux tiers au Bundestag, le 18 mars. Pour imposer ce tournant majeur, le futur chancelier a dû avoir recours à une acrobatie démocratique. La majorité dont il disposera dans le futur Parlement étant trop étroite pour espérer atteindre la barre des deux tiers, il a choisi de soumettre son plan au Bundestag sortant, où ses partenaires sociaux-démocrates disposent encore de troupes importantes.
Nouveau départ
La méthode est audacieuse, mais l’époque requiert de l’audace : c’est le message que tente de faire passer le futur chancelier, urbi et orbi, depuis les élections du 23 février. Malgré le score décevant de son parti démocrate-chrétien, la CDU-CSU, arrivé certes en tête mais avec seulement 28,5 % des suffrages, et malgré le handicap de la période transitoire avec un gouvernement en cours de négociation, Friedrich Merz veut montrer qu’il prend les choses en main − contrairement à son prédécesseur −, qu’il est conscient du moment historique dans lequel Donald Trump et Vladimir Poutine ont plongé l’Europe et que l’Allemagne sera au rendez-vous.
Ce nouveau départ allemand et les ruptures qu’il constitue, en particulier dans le domaine de la défense, sont potentiellement positifs. Une relance du moteur économique allemand bénéficiera au reste de l’Europe. Dans le contexte incertain de la guerre en Ukraine, un chancelier volontariste à Berlin peut compléter le leadership de ses partenaires français Emmanuel Macron et britannique Keir Starmer pour défendre les intérêts européens face à l’offensive russo-américaine et pousser les efforts lancés au Conseil européen extraordinaire du 6 mars.
Il reste encore beaucoup d’écueils sur cette voie, y compris celui d’un chancelier allemand certes audacieux, mais réputé impulsif et sans expérience gouvernementale. Le risque serait de voir son « bazooka » s’enrayer, comme s’est enlisée la « Zeitenwende » d’Olaf Scholz, cette « nouvelle ère » proclamée en 2022. Mais, pour l’heure, la nouvelle dynamique à Berlin doit être encouragée.