Comment faire pour ne plus se délecter des déboires des autres ? Une question cruciale et urgente au vu des réactions d’un grand nombre de Tunisiens, surtout sur les réseaux sociaux, mais pas seulement, au sujet de la récente éviction de la ministre des Finances et de l’auto-immolation d’un jeune par le feu à Sousse.
Une perte des valeurs morales
En effet, on s’aperçoit de plus en plus que les Tunisiens ne se gênent plus de montrer leur réjouissance face aux malheurs des autres. En quelques années seulement, ils semblent avoir perdu leurs valeurs morales et leur civilité ancestrales qui ont fait d’eux un peuple chaleureux, aimant, accueillant, solidaire, plein de compassion et d’humanité.
Qu’il est loin ce temps où les Tunisiens passaient leurs nuits à surveiller leurs quartiers et où les familles leur apportaient joyeusement le dîner et le thé pour se réchauffer. L’élan de solidarité avec environ un million de réfugiés venant de la Libye, à qui les Tunisiens des régions du sud ont offert amicalement le gîte et le souper, semble si lointain, de la préhistoire ou presque.
En fait, ce que l’ancien régime sous Bourguiba et Ben Ali a peiné à construire durant près de soixante ans, faisant sortir la Tunisie de la logique tribale dans laquelle pataugent encore la plupart des autres pays de la région, les islamistes puis les populistes ont réussi à détruire au bout d’une décennie et demie. Ils ont sapé les concepts de la nation, de la patrie et de l’unité nationale.
La destruction de l’unité nationale par les islamistes et les populistes
Il faut rappeler que les islamistes tunisiens qui épousent l’idéologie des Frères musulmans ne croient pas à la patrie et n’adhèrent qu’au seul concept de la nation islamique. En accédant au pouvoir après la révolution, la seule logique qui les a guidés est une logique sectaire qui se résume au slogan : « Nous d’abord, les autres après, s’il reste quelque chose ». Le résultat de cette logique a été catastrophique pour le pays puisque les caisses de l’État ont été saccagées et pillées, l’administration a été inondée par leurs compagnons et le pays s’est écroulé sous les dettes extérieures qui ont servi à financer leur faste.
Le populisme qui a pris la relève des islamistes depuis cinq ans a continué ce travail de sape en divisant les Tunisiens en deux clans en perpétuelle confrontation : les bons et les mauvais, les patriotes et les traîtres, nous et eux. Ce discours de division et de haine, adopté par le président de la République lui-même et largement diffusé à travers les réseaux sociaux, a alimenté les sentiments les plus vils et honteux chez une large frange de la population. Certains diront qu’il ne s’agit que des franges les moins instruites. D’autres considèrent que ce n’est que la manifestation de la crise asphyxiante qui ébranle les Tunisiens depuis plusieurs années.
On attendra les éclaircissements des spécialistes en psychologie sociale pour essayer de comprendre les raisons du délabrement collectif de la morale et de la civilité des Tunisiens.
La vidéo de l’auto-immolation : un symptôme de déshumanisation
Concernant le limogeage de la ministre des Finances, il n’est pas intéressant d’analyser le contenu de la séquence vidéo s’y référant, publiée par la présidence de la République. Il semble qu’il s’agisse d’un mode de gouvernement choisi par le président de la République depuis longtemps et d’une posture de vassalité choisie et acceptée par ses collaborateurs.
Ce qui est surprenant, c’est cette vague de réjouissance et de délectation sur les réseaux sociaux face à la surprise, au désarroi apparent de la ministre et à son humiliation publique. Cette absence de compassion surprend, car quels que soient les critiques et les griefs qu’on peut avoir contre le personnage de la ministre des Finances, il était impérieux de ménager la dignité de la personne de Sihem Nemsia. Dommage.
Quant à la séquence vidéo de l’auto-immolation d’un jeune dans un poste de police à Sousse, peu importe qu’il soit un délinquant ou qu’il soit un ange. Ce qui importe, c’est que son acte est un raptus mélancolique répandu dans notre pays, ce qui explique la recrudescence des cas d’auto-immolation.
En revanche, ce qui est incompréhensible, c’est l’absence d’empathie, d’humanité même, chez certains de nos compatriotes qui, au lieu de porter secours aux victimes, se délectent de filmer leurs derniers soupirs et leurs dernières souffrances. Ce qui l’est encore plus, c’est d’essayer d’expliquer cet acte de détresse absolue par la théorie du complot qui vise le pouvoir en place. En termes de flagornerie, même macabre, cette explication est un véritable chef-d’œuvre.