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De graves irrégularités dans les cliniques privées

- Tunisie
février 06, 2025

 

Le Haut Comité du Contrôle Administratif et Financier a publié un rapport alarmant sur la gestion des cliniques privées en Tunisie, mettant en lumière de nombreuses irrégularités qui compromettent la qualité des soins et la sécurité des patients. Après le contrôle fiscal approfondi, les cliniques privées doivent s’attendre maintenant à des contrôles rigoureux des ministères de la Santé, du Commerce et des Affaires sociales.

 

Le président de la République a reçu mardi 28 janvier 2025 Imed Hazgui, président du Haut Comité de Contrôle Administratif et Financier (HCCAF), relevant de la présidence de la République, qui lui a remis le 29ᵉ rapport annuel du Comité.

Le rapport en question, de six cents pages, est fort attendu par les analystes et les politiciens et a été rendu public aujourd’hui, mercredi 5 février 2025.

Ce 29e rapport est similaire aux autres des années précédentes, il est très riche en informations précises et utiles. Il épingle les différentes institutions du pays, qu’elles soient publiques ou privées, avec force détails. Réputé pour son sérieux et son travail de fourmi, le HCCAF ne déroge pas à sa règle et ne se limite pas à révéler les irrégularités, il propose également des recommandations.

Pour son travail relatif aux cliniques, le HCCAF s’est basé sur le 32e rapport de la cour des comptes dont les contrôles couvrent la période 2014-2020. Le HCCAF a entamé ses travaux en octobre 2022, a présenté ses remarques aux intéressés puis est revenu à la charge en avril 2023 pour voir si ses recommandations ont été suivies d’effets.

La partie réservée aux cliniques du rapport, couvre quinze pages et met en évidence des failles majeures dans la régulation du secteur, notamment en matière de respect des normes sanitaires, de gestion des équipements lourds et de transparence dans l’octroi des autorisations. Si ces problèmes ne sont pas rapidement traités, le système de santé tunisien pourrait voir une dégradation continue de la prise en charge des patients.

 

Un secteur en pleine expansion mais déréglementé

Les cliniques privées jouent un rôle de plus en plus important dans le système de santé tunisien. Selon le cadre légal en vigueur, notamment la loi n°63 de 1991, elles ont pour mission de fournir des services préventifs, curatifs et palliatifs. Cependant, l’essor de ces établissements a pris une ampleur considérable depuis l’instauration d’un système de cahier des charges en 2001, remplaçant le système de licences administratives.

Depuis, le nombre de cliniques privées a explosé, atteignant 103 établissements en février 2020, avec une capacité totale de 6 676 lits, soit 24 % de la capacité hospitalière nationale. De même, les centres de dialyse privés, qui étaient réglementés par l’arrêté de 2009, ont proliféré, captant 75 % des patients atteints d’insuffisance rénale chronique avec 117 centres privés contre seulement 49 centres publics.

Cette expansion rapide a entraîné des problèmes structurels majeurs, accentués par un contrôle insuffisant de la part des autorités sanitaires. L’absence de véritable planification sanitaire et de suivi rigoureux des capacités d’accueil a favorisé une saturation de ces infrastructures, en particulier dans les régions où l’offre publique est limitée. De nombreux patients se retrouvent ainsi dans des conditions d’accueil précaires, voire dangereuses, en raison du manque de lits disponibles et d’un personnel souvent débordé.

 

Une réglementation laxiste et un suivi insuffisant

Le rapport du HCCAF souligne de nombreuses irrégularités dans l’octroi des autorisations de construction et d’exploitation des cliniques privées. Certaines ont reçu des permis pour des bâtiments de six étages en violation des réglementations en vigueur. De plus, 28 cliniques n’ont pas fourni de certificats de conformité après travaux, compromettant la sécurité des patients et du personnel.

Le HCCAF critique également la faiblesse du suivi par le ministère de la Santé, qui ne contrôle pas régulièrement les établissements privés. Ainsi, 41 cliniques et 36 centres de dialyse n’avaient pas renouvelé leurs certificats de sécurité incendie en 2020, certaines n’ayant pas mis à jour ces documents depuis plus de vingt ans. Ce laxisme dans la surveillance laisse la porte ouverte à des abus et à des situations dangereuses pour les patients.

 

Une crise des équipements obsolètes

L’utilisation d’équipements médicaux lourds pose un problème critique. Le HCCAF souligne que 86 % des équipements de radiothérapie et l’ensemble des équipements de médecine nucléaire des cliniques privées ont dépassé dix ans d’exploitation, ce qui ne correspond plus aux standards internationaux. De plus, 69 % des scanners et 51 % des salles de cathétérisme cardiaque ont également dépassé la durée recommandée d’utilisation.

La Cnam a continué à prendre en charge les frais d’exploitation d’équipements obsolètes à hauteur de 19,764 millions de dinars entre 2013 et 2019, alors que la commission technique avait recommandé de ne plus rembourser ces appareils. Ces équipements vieillissants sont susceptibles de causer des erreurs de diagnostic ou de traitement, mettant en danger la santé des patients.

 

Vers un renforcement des sanctions et des réformes nécessaires

Face à ces abus, le HCCAF recommande :

  • Un renforcement du contrôle des cliniques et des centres de dialyse avec des inspections inopinées.
  • Une refonte du système de certification des équipements lourds, avec un suivi plus strict de leur durée d’utilisation.
  • Un meilleur encadrement des autorisations de construction et d’exploitation des cliniques privées.
  • Une mise à jour de la carte sanitaire nationale pour mieux anticiper les besoins régionaux en infrastructures de santé.
  • Une obligation de transparence tarifaire, pour réduire les abus de facturation.

 

Le rapport du HCCAF met en lumière la nécessité d’une réforme profonde du secteur privé de la santé en Tunisie, alliant renforcement du contrôle, modernisation des équipements et meilleure transparence dans les transactions entre les cliniques et la CNAM. Une prise de conscience collective et une intervention rapide des autorités sont cruciales pour préserver la qualité des soins et garantir la sécurité des patients.

On note que les abus signalés par le HCCAF n’ont rien d’inédit. Les années précédentes, notamment en 2024, l’écrasante majorité des cliniques privées tunisiennes ont fait l’objet de contrôles fiscaux approfondis, suivis de redressements à hauteur de plusieurs millions de dinars. Les irrégularités constatées dans les finances ne sont donc pas les seules.

Profitant de l’instabilité politique totale durant la révolution, ces établissements ont largement saigné les malades sans même fournir les services adéquats.

Le rapport est entre les mains du président de la République depuis une semaine. Il y a fort à parier qu’il prendra des décisions importantes pour contraindre ces cliniques à respecter strictement la loi, tant sur le plan financier que sanitaire.

 

 

Maya Bouallégui

 

Cliquer ici pour lire la partie réservée aux cliniques privées dans le rapport du HCCAF