Par Kais Nigrou*
« L’homme est ainsi fait qu’il poursuit des mirages et se perd dans l’illusion de son propre éclat. » – Réflexion existentialiste
Il ne se passe pas un jour où l’on n’entende pas parler, dans notre espace médiatique ou dans l’espace public, du mot « souveraineté nationale ». Une expression souvent galvaudée et un concept mal compris.
La souveraineté nationale reste certes un concept stratégique fondamental que tout pays qui se respecte vise à atteindre. Mais entre le possible et le souhaitable, l’hiatus est béant, tant ce concept est de plus en plus mis à l’épreuve par la mondialisation et l’interdépendance croissante des États.
Nombreux sont les domaines où cette souveraineté s’avère toute relative, même si, dans la plupart des pays, pouvoirs en place, forces politiques de tous bords ou encore opinions publiques crient haut et fort que l’objectif de souveraineté reste au sommet hiérarchique de leurs priorités.
Des limites économiques
Dans le domaine économique, les pays dépendent de très nombreux facteurs qui influencent fortement leurs équilibres budgétaires : besoins en matières premières, échanges commerciaux, investissements étrangers, taux de change, dépendance vis-à-vis des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, etc.). Par exemple, des États endettés peuvent voir leur politique budgétaire dictée par des créanciers ou des institutions extérieures, limitant leur souveraineté économique.
Citons dans ce sens l’exemple édifiant de la Grèce (crise de la dette 2008-2015), qui a été contrainte de suivre des réformes économiques drastiques imposées par la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) en échange de plans de sauvetage financiers. Malgré son statut d’État souverain et un pouvoir politique élu, farouchement opposé en principe aux dites réformes, la Grèce a été obligée de suivre ce plan de sauvetage, qui a permis quelques années plus tard, malgré le scepticisme de plusieurs analystes, l’assainissement de la situation financière du pays.
Toujours dans la sphère économique, la dépendance énergétique reste l’un des défis majeurs auxquels fait face la notion de souveraineté. Peu de pays dans le monde peuvent être considérés comme « indépendants » sur le plan énergétique, c’est-à-dire que leur production en énergie excède leur consommation. C’est l’exemple tout récent des États-Unis, qui n’ont pu atteindre ce statut que grâce à l’exploitation des gisements de schiste, ou encore de la Russie et du Canada, disposant de riches ressources en pétrole, gaz naturel, et capacités énergétiques hydroélectriques et nucléaires.
Si l’on intègre encore les notions de mix ou de transition énergétique, nous constatons que, malgré leur relative indépendance, certains pays restent fortement tributaires des ressources en hydrocarbures (Qatar, Émirats arabes unis, Brésil), alors que d’autres assurent leur souveraineté énergétique majoritairement grâce à des ressources renouvelables et propres (ex. : l’Islande par l’hydroélectrique et la géothermie, la Norvège par l’hydroélectrique).
Est-il utile de rappeler ici la vulnérabilité constatée après la guerre en Ukraine de certains pays européens pourtant puissants comme l’Allemagne, dont la majorité de l’apport énergétique provenait du gaz russe ? L’équation sera encore plus compliquée pour les pays économiquement modestes qui disposent de peu ou pas de ressources naturelles pour leurs besoins énergétiques.
Limites dans les domaines de sécurité et de défense
Dans le domaine militaire, la souveraineté reste une notion tout à fait relative, même quand il s’agit des grandes puissances qui s’appuient souvent sur des alliances pour assurer leur sécurité.
Rappelons à cet égard que la défense de nombreux pays européens, pourtant considérés comme riches, dépend largement de l’alliance atlantique (Otan), et donc d’une forte influence américaine dans les décisions stratégiques. Les souhaits de mise en place d’une défense européenne indépendante restent jusqu’à ce jour un objectif difficile à atteindre (les bouleversements géopolitiques des derniers jours sont là pour le confirmer).
À noter également que l’Allemagne et le Japon accueillent encore des bases militaires américaines depuis la Seconde Guerre mondiale. Bien que souverains, ils doivent composer avec la présence de forces étrangères sur leur territoire.
[…]
Nous pouvons prétendre assurer plus de souveraineté si nous parvenons à améliorer les conditions de vie des citoyens. Autrement, nous continuerons à nous perdre dans des slogans creux qui ne font que flatter trompeusement nos égos !
* Chirurgien, ancien conseiller municipal