Tourisme de santé : hébergement des personnes âgées en Tunisie
Par Alexandre Canabal *
« Lorsqu’on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage »
Monsieur le Président,
La société Carthagea développe en Tunisie, depuis le 1er octobre 2016, un concept innovant de prise en charge des personnes âgées dépendantes ou souffrant de maladies neurovégétatives comme l’Alzheimer, Parkinson, etc.
Alors qu’en Europe ces personnes sont hébergées dans des bâtiments dédiés, plus ou moins beaux et spacieux, dans des zones urbaines, et avec un manque flagrant de personnel, la Tunisie s’illustre par une approche beaucoup plus humaine, avec un ratio de personnel inédit d’une aide-soignante par résident, contre un pour 10/15 en Europe. Les résidents sont hébergés dans des établissements hôteliers, ce qui constitue à ce jour un modèle unique au monde que beaucoup nous envient et qui contribue à remplir les hôtels, notamment lors des périodes creuses.
Notre société a réalisé quatre premières mondiales en Tunisie et a fait l’objet de neuf reportages TV ainsi que d’une centaine d’articles de presse, tous élogieux et avec une réelle mise en valeur du pays.
Avec des perspectives de croissance réelles et factuelles liées à la pyramide des âges, il est un fait avéré que nous vivons de plus en plus vieux, mais aussi de plus en plus malades ou dépendants. Le tourisme de santé et de prise en charge des personnes âgées représente une aubaine pour la Tunisie, qui dispose de tous les atouts nécessaires, bien que cela n’ait jamais été pris en compte par les autorités. À titre d’exemple, le déficit de places pour la France est estimé à 130.000 d’ici 2030, soit dans moins de cinq ans. C’est dire l’urgence de la situation. Cette problématique est similaire dans tous les pays européens. Par conséquent, saisir cette opportunité et permettre son développement dans de bonnes conditions permettrait de créer des milliers d’emplois à forte valeur ajoutée (sans importation de matières premières), de faire entrer des devises dont le pays a tant besoin, tout en valorisant la Tunisie pour son savoir-faire médical et son hospitalité légendaire. Certes, ce n’est pas de l’industrie, comme le prétendent certains, mais sachez qu’un résident génère 2,8 emplois directs et en moyenne 36.000 € par an d’entrées en devises.
Si la Tunisie se donnait les moyens d’accueillir ne serait-ce que 10% de cette demande, ce ne sont pas moins de 65 hôtels de 200 chambres qui pourraient être complets, ou des centaines avec un taux d’occupation de 10 à 20%. Cela représenterait des entrées en devises de près de 500 millions d’euros par an et plus de 30.000 emplois directs, soit un véritable relais de croissance pour le pays.
Notre société accueille actuellement 80 résidents permanents français et suisses, répartis dans 3 hôtels, dont le Russelior situé à Yasmine Hammamet. Pour mémoire, cet hôtel est confisqué par l’État depuis février 2011, soit quatorze ans à ce jour. Sa dette auprès des banques publiques est de 75 millions de dinars, hors intérêts. Il est actuellement géré par un directeur général et un directeur commercial, sous le contrôle d’un administrateur judiciaire.
Nous avons dû patienter plusieurs années avant de pouvoir signer un contrat de partenariat, alors que l’hôtel était désespérément vide une grande partie de l’année. En 2021, suite à la crise du Covid, nous avons pu débuter notre collaboration. Il était prévu un allotissement de cinquante chambres, mais nous n’en avons eu que dix la première année. Puis, nous en avons obtenu quatorze de plus, sans jamais dépasser 24 chambres, alors que l’hôtel est pratiquement vide neuf mois sur douze et n’est jamais complet, sauf à de rares exceptions comme le 31 décembre ou lors de séminaires. Il affiche complet uniquement en été, comme beaucoup d’hôtels balnéaires.
Il se trouve que cette année, fin mars 2025, notre contrat arrive à échéance. Le directeur général n’a pas souhaité la tacite reconduction, alors que quelques mois plus tôt, celui-ci disait tout le contraire lors d’une réunion en présence de l’administrateur judiciaire (le 4e en quatorze ans), reniant ainsi ses propos. Il a fait le choix de nous notifier le non-renouvellement par l’envoi d’un courrier (signé de lui seul, alors que le contrat avait été signé par l’administrateur judiciaire) afin de faire pression sur notre société et nos résidents. Cela démontre déjà un irrespect total envers un partenaire sérieux qui a contribué fortement à la survie de l’hôtel, par un chiffre d’affaires cumulé de 1,3 million d’euros en quatre ans pour seulement 24 chambres.
Lors de nos derniers échanges, ces messieurs nous ont indiqué, alors que nous proposions de prendre un allotement de cent chambres (soit quatre fois plus que l’actuel), qu’il était plus intéressant pour eux de laisser l’hôtel vide et de louer plus cher en été, plutôt que de nous donner des chambres qui seraient remplies toute l’année. Je dois vous dire qu’entendre de tels propos est pour le moins surprenant. Comment un hôtel pourrait-il être rentable en ne travaillant que trois mois par an, tout en restant ouvert avec 5% de taux moyen d’occupation sur neuf mois ?
En fait, c’est comme si la Tunisair refusait d’embarquer une centaine de passagers par vol pendant neuf mois sur douze, au motif que les places seront vendues plus cher en juillet et août et qu’elles compenseront le manque à gagner. Qui peut croire cela ?
Nous leur avons répondu qu’ils avaient déjà perdu 500.000 € par an durant quatre ans en refusant de nous donner les 26 chambres manquantes, soit deux millions d’euros. Cette somme étant partie de fait aux autres établissements partenaires, ce qui a fait leur bonheur !
À qui profite le crime ? Car c’est bien d’un crime économique dont il s’agit !
Le malheur de cette histoire, c’est qu’en fait, nous parlons dans ce cas d’argent public qui a été mis dans cet hôtel et payé par les douze millions de Tunisiens.
En insistant un peu plus, nous apprenons du directeur commercial que ce qui pose problème, également selon eux, c’est la présence des personnes âgées dans l’hôtel, et que, selon la direction, cela dévalorise l’établissement. À ce stade, nous ne sommes donc plus seulement dans la mauvaise gestion, mais dans de la discrimination, ce qui constitue un délit. Comment peut-on tenir de tels propos ? Où est la tradition de l’hospitalité tunisienne ? C’est réellement choquant !
Le meilleur restant à venir, on nous indique que finalement, il serait peut-être possible de conserver les chambres en contrepartie d’une augmentation du tarif de 55 %, suivie d’une revalorisation annuelle de 7%, et le refus de nous attribuer plus de chambres, tout en sachant que le prix que nous payons actuellement est supérieur à celui versé par les tours opérateurs qu’ils chérissent tant.
Pour qui travaillent réellement ces personnes ?
Est-ce cela l’image qu’on veut donner de la Tunisie ?
Où est le respect des anciens ?
Ces messieurs ont bien vite oublié les crises successives durant lesquelles les hôtels étaient vides et où ils se réjouissaient d’avoir des personnes âgées pour contribuer au paiement de leurs salaires et autres avantages.
Pour clarifier les choses, je vous précise que notre société ne prend aucune marge commerciale sur la partie hébergement. Mieux encore, nous faisons bénéficier gratuitement les hôtels des flux de visiteurs familles (1.564 nuitées en 2024, dont 470 pour le Russelior), alors qu’ils payent des commissions de 15 à 20% aux plateformes de réservations. Nous gagnons de l’argent uniquement sur notre prestation et, contrairement aux idées reçues, notre bénéfice est faible, environ 5%, et nos comptes sont publics.
Au moment où je vous écris, la plus grande incertitude règne en Europe. La 3e guerre mondiale va peut-être débuter. Personne ne peut prédire l’avenir… Se priver d’une clientèle présente toute l’année s’apparente à un suicide commercial, et je voulais vous en informer.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma plus haute considération.
* Président fondateur de Carthagea