Il n’y a pas si longtemps, le président Kaïs Saïed nous assénait que l’Intelligence artificielle était une menace. « Méfiez-vous ! » nous disait-il, la voix pleine de gravité. Hier encore, cette même IA, avec une ironie mordante, lui inventait un entretien fictif où il menaçait Donald Trump et s’alignait publiquement sur le président égyptien Abdelfattah Al-Sissi. Un deepfake, bien sûr – un de ces montages numériques qui pullulent sur la toile – mais est-ce pour autant que le président a raison de s’inquiéter ?
Une peur irrationnelle ou un refus de comprendre ?
En 2023, lors de la journée du Savoir, face à l’élite de l’éducation du pays, le président a pris la parole pour donner son avis tranché sur l’IA, ce grand progrès de notre époque.
« Il s’agit d’un danger imminent qui menace toute l’humanité. Ce qu’on qualifie d’intelligence est en réalité une arme… cet outil est manipulé par une seule partie », déclarait-il. Voilà une démonstration éclatante de la vision clairvoyante du président ! Au lieu de se préparer à comprendre et exploiter cette technologie, Saïed a choisi la solution la plus simple : rejeter, comme il le fait avec tout ce qu’il ne maîtrise pas. Un bon vieux réflexe de l’ignorance.
Cette politique de rejet caractérise l’essence même de la gestion Kaïssienne du pays. Rejeter pêle-mèle – et sans prendre la peine de comprendre – classe politique, opposants, médias, associations, hommes d’affaires, organisations internationales, jusqu’aux institutions même du pays et leur mode de fonctionnement.
Mais alors que nous essayons de remettre au goût du jour des modes de fonctionnement qui ont prouvé leur échec, ailleurs, dans le monde, l’intelligence artificielle est au cœur des préoccupations. La vraie question, en effet, n’est pas de la craindre, mais de savoir comment l’exploiter à bon escient.
L’intelligence artificielle, un champ de bataille mondial
Actuellement, à Paris, se tient le sommet mondial de l’intelligence artificielle. Pendant ce temps, le monde se déchire entre l’américain OpenAI, pionnier et ultra-performant, et le chinois Deepseek, tout aussi compétent mais beaucoup moins cher. Les Européens, eux, peinent à suivre le rythme.
En 2017, Vladimir Poutine, dans un élan de clairvoyance, affirmait : « Celui qui deviendra leader dans le domaine de l’IA sera le maître du monde ». Une prophétie qui n’a jamais eu autant de sens aujourd’hui, alors que la guerre froide des IA bat son plein entre les géants technologiques – principalement la Chine et les États-Unis. Depuis cette année-là, la Chine s’est donnée jusqu’en 2030 pour dominer ce domaine. La bataille pour savoir qui en aura la plus grosse…IA, est officiellement lancée.
L’intelligence artificielle est devenue, chaque jour un peu plus, omniprésente et indispensable dans nos vies. Elle est ce compagnon éclairé qui vous aide à décider ce que vous allez cuisiner avec les trois pommes de terre, l’oignon et les restes de poulet dans votre frigo. Elle est ce camarade de classe qui vous corrige (et écrit à votre place) votre mémoire de fin d’études. Et, bien sûr, elle est ce voisin bienveillant, somnambule lui aussi, qui vous explique à 3 heures du matin si charger votre téléphone plus rapidement en le mettant au micro-ondes est une bonne idée.
Mais l’IA ne se contente pas de résoudre vos petits problèmes du quotidien. Non, pour ceux qui l’ont compris, elle a un potentiel bien plus grand. Elle est déjà en train de devenir notre alter ego – un être moins humain, moins maladroit, moins faillible, plus rapide et doté d’une mémoire infaillible… mais avec une empathie qui, comme par magie, disparaît en cours de route. Cet alter ego que nous nourrissons chaque jour avec nos problèmes à résoudre ou nos questions des plus sérieuses aux plus loufoques. Cet alter ego, déjà en train de prendre nos emplois, remplacera le journaliste qui, au lieu de fouiller dans ses notes face à un politicien menteur, sortira des contrevérités toutes fraîches en quelques secondes, sans sourciller. Cet alter ego, sans état d’âme, pourra diriger des guerres et choisir des cibles à abattre avec une efficacité glaciale, mais sans jamais se poser la question de la morale.
Le train de l’IA passe… et la Tunisie reste à quai
Loin de faire partie de la guerre, qu’avons-nous préparé pour y faire face ? Sommes-nous condamnés à continuer un suivisme passif et toujours en retard ? Comme dans beaucoup d’autres enjeux capitaux pour le pays, nous restons loin derrière, dépourvus de l’indispensable capacité de prévoir et de planifier. La crise de l’eau, l’économie, la simple réforme des chèques…
Le potentiel qu’offre l’IA dans des domaines très évidents comme l’éducation par exemple, ou même l’industrie et l’économie, est immense. Des pays pas très éloignés de nous ont déjà compris cet enjeu et nous devancent déjà. Sans grande surprise, le premier sommet africain de l’IA se tiendra…(roulement de tambours) dans la marocaine Rabat. Pendant ce temps-là, nous continuons à parler de menace et de complot…
Ce n’est pas avec de l’alarmisme et des complots qu’un pays se gouverne…