Quest-ce que le phosphogypse, ce polluant reclassé par les autorités tunisiennes ?
Le 5 mars 2025, un conseil ministériel restreint s’est tenu au Palais du gouvernement à la Kasbah, sous la direction du chef du gouvernement, Kamel Maddouri. L’objectif principal de cette rencontre était d’évaluer les perspectives de développement du secteur du phosphate pour la période 2025-2030, en abordant notamment les enjeux liés à sa production, son transport et sa transformation. L’état actuel du Groupe Chimique Tunisien (GCT) et les mesures à adopter pour assurer son bon fonctionnement ont également été examinés.
Durant cette réunion, le chef du gouvernement a mis en avant l’importance stratégique du phosphate pour l’économie nationale. Il a souligné que ce secteur joue un rôle clé dans la croissance économique, l’amélioration des échanges commerciaux, l’augmentation des exportations et la consolidation du produit intérieur brut (PIB). Parmi les décisions prises lors du conseil, l’une des plus notables concerne le reclassement du phosphogypse : autrefois considéré comme un déchet dangereux, il est désormais reconnu comme un matériau pouvant être exploité sous certaines conditions. De plus, un projet d’installation d’une unité de production d’ammoniac dans la zone industrielle de Gabès a été validé.
Ces annonces n’ont pas manqué de provoquer des réactions. Le collectif Stop Pollution, engagé dans la lutte pour un environnement sain à Gabès, a rapidement exprimé son désaccord. Dans un communiqué publié le 6 mars 2025, il a dénoncé une décision qu’il juge dangereuse pour l’environnement et la population locale.
Une tortue de mer morte est vue à Gabès, en Tunisie, le 22 mai 2023. La pollution environnementale causée par les déchets chimiques nocifs émis par les usines du golfe de Gabès, qui abrite les côtes de la partie sud de la Tunisie, provoque la mort d’êtres vivants dans la région. Malgré des années de lutte des habitants de la région pour la fermeture des usines construites au bord de la mer en 1972, les usines à l’origine de la catastrophe environnementale continuent leur production. Yassine Gaidi / Anadolu Agency (Photo de Yassine Gaidi / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP)
Le collectif a particulièrement critiqué la reclassification du phosphogypse, considérant cette mesure comme un abandon des engagements pris en 2017 concernant le démantèlement des infrastructures polluantes. De plus, il s’est opposé au projet d’installation d’une unité de production d’ammoniac, mettant en garde contre les risques industriels et la pression supplémentaire exercée sur les ressources en eau de la région.
Les effets environnementaux du phosphogypse
Le phosphogypse est un sous-produit résultant de la fabrication des engrais phosphatés. Il provient du traitement chimique de la roche phosphatée avec de l’acide sulfurique, ce qui permet d’obtenir de l’acide phosphorique. Composé majoritairement de sulfate de calcium dihydraté, il contient également des impuretés et des éléments radioactifs issus de la roche d’origine. Chaque année, sa production mondiale dépasse les 280 millions de tonnes, soulevant de nombreuses inquiétudes écologiques.
Ce matériau présente plusieurs risques pour l’environnement. En effet, il peut libérer divers éléments toxiques, tels que des fluorures, des sulfates, des métaux lourds et des radionucléides, qui peuvent progressivement s’infiltrer dans les nappes phréatiques. Par ailleurs, le radon-222, un gaz radioactif naturellement émis par le phosphogypse, constitue un danger pour les personnes exposées, en particulier les travailleurs et les habitants vivant à proximité des zones de stockage.
Un autre problème réside dans l’acidité du phosphogypse, qui peut contribuer à la dégradation des sols et à la pollution des ressources en eau. De plus, certains éléments radioactifs qu’il contient, comme l’uranium-238 (demi-vie de 4,5 milliards d’années), le thorium-230 (75 000 ans) et le radium-226 (1 600 ans), présentent une persistance à très long terme, ce qui signifie que leurs effets pourraient se faire sentir pendant des milliers, voire des millions d’années.
Ainsi, sans un encadrement strict et des mesures de gestion adaptées, l’accumulation de phosphogypse pourrait avoir des conséquences durables sur la biodiversité, la qualité des ressources naturelles et la santé des populations exposées.
R.A.