Connaîtra-t-on les véritables raisons qui ont amené le Président de la République, Kaïs Saied, à limoger sa ministre des Finances, Sihem Nemsia, et à la remplacer par Michket Slama Khaldi, magistrate et précédemment présidente de la Commission nationale de conciliation ? Peut-être bien un jour.
Un limogeage aux raisons floues
Cependant, l’hypothèse la plus probable ne réside nullement dans la gestion du dossier des biens confisqués. Un dossier qui traîne depuis 2011, géré de surcroît par plusieurs structures et dont on ne verra pas de sitôt l’épilogue, dans la mesure où un Conseil ministériel restreint, tenu mercredi 12 février 2025 sous la présidence du chef du gouvernement, Kamel Maddouri, a été consacré à l’examen d’une « version préliminaire du projet de loi portant sur la confiscation, le recouvrement et la gestion des biens mal acquis » et qui vise « à combler les lacunes juridiques, simplifier les procédures traînant en longueur et mettre fin à la profusion injustifiée des commissions en charge de ce dossier ».
Cette réunion fait d’ailleurs suite à une autre, tenue à la fin du mois de novembre 2024 sur le même sujet, à l’issue de laquelle il fut recommandé de procéder à un inventaire complet et précis de tous ces biens et d’imaginer pour chacun sa finalité. De toute façon, si l’État n’avait pas expressément besoin de ressources, ce dossier aurait encore traîné dans le temps.
Une crise budgétaire en toile de fond
Il n’est donc pas certain que le limogeage tienne à ce fait. L’hypothèse la plus probable résiderait dans le refus qu’aurait exprimé Sihem Nemsia d’appliquer le pendant financier du décret 2025-21 relatif à l’intégration des maîtres et professeurs suppléants dans les écoles, collèges et lycées relevant du ministère de l’Éducation nationale. Cette mesure nécessitera en effet des dépenses budgétaires supplémentaires qui ne sont pas prévues par la loi de finances et le budget de l’État pour l’exercice 2025.
Or, toute mesure ayant un impact sur le budget de l’État en termes de recettes et, a fortiori, de dépenses doit nécessairement prendre la voie législative sous la forme d’un projet de loi devant être examiné, débattu et, le cas échéant, adopté par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et non pas prendre la forme d’un décret. Principe du parallélisme des formes oblige. De ce point de vue, l’attitude de l’ancienne ministre des Finances est des plus légitimes. Cela lui éviterait d’ailleurs d’être éventuellement poursuivie plus tard en vertu du fameux article 96 du Code pénal.
Le parallélisme des formes n’est pas la seule raison. Une autre réside dans la situation extrêmement fragile, sinon difficile, dans laquelle évolueront les finances publiques et, particulièrement, le budget du pays en 2025. Les besoins de financement du budget sont de plus en plus difficiles à satisfaire, à moins qu’ils ne provoquent des dommages collatéraux. On en a eu une illustration récemment lorsqu’il a fallu honorer une échéance de dette extérieure. La baisse des réserves en devises fut plus que conséquente : l’équivalent de près d’une vingtaine de jours d’importation en moins.
Une nouvelle ministre face à un défi insurmontable ?
Au-delà, il est à craindre que la nouvelle ministre ne jette l’éponge plus tôt que prévu face aux défis des finances publiques et budgétaires. La chronique, cette semaine, de Nizar Bahloul sur « les équations insolubles de la nouvelle ministre des Finances » en fournit un large pan. D’autant que Mme Slama Khaldi apparaît comme une néophyte dans le domaine de l’économie et de la finance, et que ses états de service à la présidence de la Commission nationale de conciliation ne plaident forcément pas pour elle.
Le premier obstacle qu’elle aura à franchir, et cela dans les prochains jours, est celui des salaires des agents de l’administration et de la fonction publique. Il aura valeur de test sur la capacité de la ministre des Finances à affronter tous les défis et à remettre le pays en marche, à tout le moins à lui éviter le chaos social et la banqueroute de l’État.
L’année 2025 sera-t-elle de tous les dangers ?