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Tout ce que révèle le communiqué des Affaires étrangères…sans le vouloir !

- Tunisie
février 26, 2025

 

La polémique ne désenfle pas autour du communiqué nocturne du ministère des Affaires étrangères, censé répondre aux propos du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH). Tant sur le fond que sur la forme, le communiqué a été perçu par beaucoup comme une atteinte flagrante à la réputation et à la tradition de la diplomatie tunisienne. Mais il faut également noter que l’auteur de ce communiqué, qui fera date, s’est tellement laissé emporter par son enthousiasme et par la conviction de concocter une réponse cinglante qu’il est tombé dans la tromperie et les contrevérités.

 

Un déni de réalité

Le ministère des Affaires étrangères donne l’impression, à travers ce communiqué, d’être dans un microcosme fermé où le déni le dispute à l’entêtement. Il donne l’impression de reprocher au HCDH de ne pas voir les choses comme le régime tunisien voudrait les voir. Ce haut comité, dont la Tunisie fait partie d’ailleurs, ne devrait pas, par exemple, prendre connaissance des dizaines de communiqués publiés par l’Association des magistrats tunisiens (AMT), qui dénonce la mainmise du pouvoir sur la justice du pays et n’hésite pas à qualifier sa situation de catastrophique.

Le comité onusien devrait donc ignorer le fait que la Tunisie a été condamnée, malheureusement, par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Il doit ignorer que cette sentence, superbement ignorée par le régime tunisien d’ailleurs, concerne la révocation abusive de 57 juges qui faisaient partie intégrante de ce que le communiqué du ministère des Affaires étrangères appelle « justice nationale ».

Ces juges avaient été limogés par un simple décret présidentiel. Non seulement la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples leur a donné raison, mais également le Tribunal administratif tunisien. Ce dernier a ordonné à l’État de rétablir une grande majorité de ces juges dans leurs fonctions. Une décision de justice qui n’a jamais été appliquée.

 

Une justice sous pression

On ne peut, non plus, oublier les déclarations faites par le président de la République un nombre incalculable de fois, où il parle des juges et d’affaires en cours. D’ailleurs, le communiqué des Affaires étrangères fait exactement la même chose, en plus d’évoquer des affaires qui n’existent pas.

Les déclarations présidentielles, disponibles sur Facebook, sont interprétées comme étant des ingérences dans le travail de la justice. Quand le président évoque l’affaire du complot contre la sûreté de l’État en affirmant que celui qui les libère est leur complice, il est clair qu’il fait pression sur la justice. Le chef de l’État a parlé de l’ensemble des accusés dans cette affaire en les traitant de criminels et de terroristes, n’est-ce pas là une sentence ? Le président de la République n’a-t-il pas affirmé qu’il suivait personnellement le déroulement de certaines affaires devant la justice ? Le président de la République n’a-t-il pas parlé, sur la place publique, d’accusations de corruption et d’enrichissement illicite pesant sur certains juges, et même d’une accusation d’adultère visant une magistrate ?

Tout cela ne devrait pas, selon le régime tunisien, entrer en ligne de compte pour le Haut-Commissariat des droits de l’Homme, et il est prié de croire que la justice tunisienne travaille dans l’indépendance la plus totale et ne fait l’objet d’aucune pression.

 

Des opposants transformés en criminels

Par ailleurs, le HCDH est également exhorté à croire que les politiciens qui se trouvent actuellement en prison le sont pour des crimes de droit commun, sans aucun rapport avec leurs activités politiques.

Par exemple, il a fallu qu’Abir Moussi essaye de se filmer en train de demander une décharge sur un document administratif au siège de la présidence de la République pour que la justice se rende compte qu’il s’agit d’une dangereuse criminelle. Dangereuse à tel point qu’elle est aujourd’hui poursuivie pour des accusations dont certaines sont passibles de la peine capitale.

Selon le ministère des Affaires étrangères, il ne faut pas voir de lien avec l’activité politique d’Abir Moussi, ni avec le fait qu’elle soit une farouche opposante au pouvoir, ni avec le fait qu’elle aurait pu se présenter à l’élection présidentielle.

D’ailleurs, dans le même sillage, Lotfi Mraihi ou Ayachi Zammel sont toujours emprisonnés, non pas à cause du fait qu’ils se soient portés candidats à la présidence de la République en 2024, mais parce qu’il s’agit de criminels endurcis. Pour cumuler des condamnations allant jusqu’à 31 ans de prison, comme c’est le cas d’Ayachi Zammel, il faut vraiment être un criminel de la pire espèce. Heureusement qu’ils ont fait l’erreur de se porter candidats à la présidence de la République pour que les autorités puissent se rendre compte du danger.

Une diplomatie incohérente

La Tunisie a tout à fait le droit de répondre au communiqué du Haut-Commissariat des droits de l’Homme sur le ton qu’elle choisit, là n’est pas la question. Seulement, il existe des manières de faire. Le communiqué du ministère des Affaires étrangères a dérogé à la règle, d’autant plus que le ministre, Mohamed Ali Nafti, a adressé un discours au même comité, la veille. Un discours très différent de la teneur du communiqué publié par la suite.

Les discours adressés par le régime et repris en chœur par ses propagandistes peuvent contenter une partie des Tunisiens qui se félicitent des propos souverainistes. Mais quand il est question de diplomatie, le ton, les propos et les voies de communication changent, si toutefois on souhaite avoir de l’impact.

S’il s’agit d’une réponse adressée, en premier lieu, à la consommation locale, alors jackpot !