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une histoire de pouvoir plus que de démocratie

- Tunisie
février 26, 2025

Depuis l’indépendance en 1956, les Tunisiens ont eu à se prononcer lors de trois référendums significatifs, tous orchestrés par le pouvoir en place et, disons-le d’emblée, dans un non respect d’un débat contradictoire ou même d’un minimum de normes reconnues en matière de référendum mais tous destinés à renforcer l’autorité présidentielle, plutôt que de favoriser l’émergence d’une démocratie véritablement participative. 

Ainsi, en 1959, la première Constitution du pays est adoptée, établissant certes la République, mais un régime présidentiel fort sous la direction de Habib Bourguiba.

En 2002, Ben Ali procède à une révision constitutionnelle, levant la limite d’âge pour la présidence et créant une chambre haute au sein du Parlement. Le « oui » remporte le scrutin avec 99,52 % des voix, un résultat révélateur des régimes autoritaires.

En 2022, Kaïs Saïed soumet au vote une nouvelle Constitution qui accroît significativement les prérogatives présidentielles au détriment du Parlement et de la justice. Malgré un taux de participation de seulement 30,5 %, elle est adoptée avec plus de 94 % des suffrages.

Bien que ces trois référendums se déroulent dans des contextes différents, ils partagent des points communs : ils n’ont pas respecté les règles communément admises en matière de référendum et, ce faisant, ont servi d’instruments pour consolider le pouvoir d’un homme.

 

Le référendum de 2022 : Un plébiscite déguisé

Le référendum de 2022 a suscité de vives critiques quant à sa légitimité et au respect des principes démocratiques.

 

1. Un Référendum En Dehors des Normes Légales  

Pour être valide, un référendum doit être organisé dans un cadre constitutionnel clairement défini. Or, celui du 25 juillet 2022 a été convoqué sans l’aval du Parlement, alors que la Constitution de 2014, toujours en vigueur à cette période, interdisait au président d’organiser un scrutin unilatéral. De plus, la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple par Saïd en mars 2022 a supprimé tout contrôle parlementaire sur le processus.

 

2. Une Question Équitable et Accessible ?  

Un référendum véritablement démocratique doit poser une question claire et neutre, permettant un choix éclairé. Or, la question soumise lors du scrutin de 2022 se limitait à un simple « oui » ou « non », sans possibilité de débat ou d’amendement. La nouvelle Constitution, élaborée unilatéralement par le président, n’a pas fait l’objet d’un débat national ouvert, et sa version finale, après quelques ratés, a été diffusée moins d’un mois avant le vote, limitant ainsi la capacité des électeurs à l’analyser en profondeur. Par ailleurs, le contrôle exercé par l’État sur les médias a restreint l’accès à un débat contradictoire, prouvant que le référendum ne répondait pas aux exigences d’une question démocratique.

 

3. Une organisation électorale indépendante et transparente ?  

L’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), chargée de garantir l’équité du scrutin, a été réorganisée en avril 2022 avec la nomination de nouveaux membres par le pouvoir en place, soulevant des doutes sur son indépendance.

 

4. Une participation faible (quorum)  

Le taux de participation au référendum a été remarquablement bas, atteignant seulement 30,5 % des électeurs inscrits. Cela témoigne du désintérêt ou de la désapprobation de la majorité des Tunisiens face à ce processus. Bien que la législation tunisienne ne fixe pas de seuil de participation, une abstention massive remet en question la légitimité d’un référendum, surtout lorsqu’il vise à modifier en profondeur la structure de l’État. Dans de nombreux pays, un quorum d’au moins 50 % est requis pour qu’un référendum constitutionnel soit considéré valide.

 

5. Non-respect des délais légaux  

Un référendum doit se dérouler selon un calendrier précis, permettant une préparation adéquate et un débat démocratique. En Tunisie, le calendrier du référendum a été établi par décret présidentiel, sans consultation des institutions législatives ou judiciaires. De plus, le texte final, après correction de 47 erreurs, a été publié tardivement (le 30 juin 2022), moins d’un mois avant le vote, restreignant ainsi le temps accordé aux électeurs pour en prendre connaissance.

 

Le référendum du 25 juillet 2022 ne satisfait pas plusieurs critères fondamentaux de validité d’une consultation référendaire. 

Plutôt que de constituer une réelle consultation populaire, il a agi comme un plébiscite visant à légitimer le projet du pouvoir en place, dans un contexte de vide institutionnel démocratique. On peut parler d’un semblant de démocratie.

 

Un Modèle de Gouvernance à Repenser  

Pour retrouver un véritable esprit démocratique, il est essentiel de dépasser la logique du référendum populiste et d’instaurer de véritables mécanismes de gouvernance démocratique. 

Riches de nos expériences, plusieurs réformes s’imposent si nous voulons éviter d’être à nouveau dupés à nouveau par des consultations biaisées :

Un référendum Rréellement démocratique se doit de formuler une question claire et ouverte au débat  

   – Assurer un accès équitable aux médias pour toutes les opinions  

   – Établir un cadre électoral neutre et indépendant 

 

Pour arriver à ces objectifs il faut commencer par : 

   – Confier la révision de la Constitution à des experts tunisiens reconnus et indépendants  

   – Garantir une séparation effective des pouvoirs  

   – Établir une cour constitutionnelle indépendante 

  • Restaurer l’ISIE dans son rôle impartial  

   – Renforcer la liberté de la presse pour garantir un débat ouvert  

   – Protéger l’indépendance de la justice et des médias contre toute ingérence politique  

  • Encourager la participation des jeunes et des citoyens dans le débat public et à la vie politique. Il faut d’attendre à des excès mais les tolérer car c’est le prix à payer pour atteindre la maturité. 

   

Un avenir encore possible  

Malgré les défis actuels, la Tunisie n’a pas dit son dernier mot. La société civile demeure active, les jeunes s’engagent et la mémoire de la Révolution de 2011 reste vivace. Le pays a la capacité de rebondir, mais cela nécessitera un élan collectif en faveur de réformes profondes et authentiques.

La démocratie ne se limite pas aux urnes ; elle se construit chaque jour à travers son exercice, dans les institutions, dans la rue et dans l’esprit des citoyens. 

Manipulé, le référendum devient un piège. Mais s’il est utilisé à bon escient, il peut redevenir un véritable instrument d’expression populaire.

C’est ce choix qui se présente aujourd’hui à la Tunisie.