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Ils ont quitté l’Occident woke pour la Russie et sont ravis

In Business
mai 30, 2025

[Cet article a été publié pour la première fois sur notre site le 13 mai 2025, et republié le 30 mai]

Il n’y a pas si longtemps encore, Arend Feenstra et sa femme, Anneesa, vivaient dans le nord de la province de la Saskatchewan [dans le centre du Canada]. Mais ils n’y étaient plus heureux. Avec la hausse des coûts de production et la multiplication des intermédiaires et de leurs marges, cette famille d’agriculteurs avait de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.

Le couple ne supportait plus non plus le wokisme ambiant, notamment la défense des droits LGBTQI et des personnes trans, des thématiques devenues omniprésentes au Canada, selon Arend Feenstra. Il fallait emmener les enfants loin de tout cela.

Pour certains Occidentaux comme les Feenstra, la Russie n’est pas seulement un pays conservateur, c’est aussi une destination idéale pour se bâtir une vie meilleure. Et Moscou, aux prises avec une crise démographique, commence à ouvrir ses portes à ceux qui rêvent de nouveaux horizons.

Arend et Anneesa ont donc vendu leur exploitation et se sont lancés, avec huit de leurs neuf enfants (l’aîné a choisi de rester au Canada), dans une entreprise que beaucoup de leurs amis jugeaient insensée, voire franchement impossible : émigrer au pays des tsars.

“Pleins d’espoir”

Les Feenstra ont élu domicile dans une plaine vallonnée couverte de neige près de la Volga, et tentent de refaire leur vie dans ce pays qu’ils considèrent comme un refuge pour les valeurs chrétiennes de la famille et pour les agriculteurs, grâce aux politiques gouvernementales favorables aux petites exploitations familiales.

Bien que le phénomène reste marginal, ils sont désormais de plus en plus nombreux, comme eux, à quitter l’Occident pour aller s’installer en Russie. Et s’ils ne sont que quelques milliers à avoir fait ce choix ces dernières années, ils commencent à trouver leur place. “Nous sommes très enthousiastes à l’idée d’être ici, et pleins d’espoir sur ce que nous allons pouvoir accomplir”, assure Arend Feenstra.

Comme beaucoup d’autres pays européens, la Russie traverse une crise démographique durable. La population – 143,8 millions d’habitants – est en baisse, conséquence d’un faible taux de natalité, d’une mortalité élevée et d’une émigration massive. Alors le Kremlin s’efforce d’attirer des étrangers.

La Russie compte aujourd’hui plusieurs millions de travailleurs immigrés venus des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, et accueille trois millions de réfugiés ukrainiens – dont la plupart devraient néanmoins rentrer chez eux à la fin de la guerre.

Immigration choisie

Mais le gouvernement, qui souhaite visiblement éviter un phénomène de “melting-pot” à l’occidentale, cible en priorité les chrétiens occidentaux conservateurs et désabusés, capables de s’intégrer rapidement dans la société russe – en l’espace d’une génération. Et si ces nouveaux venus aident le Kremlin à diffuser sa propagande dans les médias occidentaux au passage, c’est encore mieux pour Moscou.

En septembre 2024, Vladimir Poutine a signé un décret afin d’assouplir les conditions d’installation en Russie des citoyens occidentaux – originaires de pays jugés “hostiles” par le Kremlin. Désormais, ils n’ont plus qu’à remplir une déclaration attestant de leurs “valeurs communes” avec le pays. Et ces valeurs semblent correspondre en grande partie à celles des Feenstra : une société bâtie autour de préceptes religieux conservateurs ne laissant aucune place aux “attitudes idéologiques néolibérales destructrices” des nations occidentales, selon les termes du décret.

L’adhésion à ces valeurs permet aux candidats à l’immigration d’éviter le test de langue normalement obligatoire et d’accélérer les formalités administratives. C’est ce qui a permis aux Feenstra d’obtenir leur permis de séjour alors qu’ils ne parlent toujours pas un mot de russe.

“Beaucoup de bons emplois à prendre”

Le gouverneur de l’oblast de Nijni Novgorod [à environ 400 kilomètres à l’est de Moscou] a d’ailleurs créé une agence spéciale, l’OKA, dans l’espoir d’attirer davantage de familles comme les Feenstra. L’OKA accompagne les nouveaux venus, leur fournit des conseils juridiques, les aide à trouver du travail et un logement.

“Le gouvernement local est très impliqué dans la recherche de travailleurs qualifiés qui partagent les valeurs russes, et nous sommes là pour faciliter autant que possible leur arrivée et leur intégration”, explique Jacob Pinnecker, directeur de l’agence.

Douze familles étrangères ont déjà élu domicile dans la région, poursuit-il, et l’OKA a reçu plusieurs centaines d’autres demandes. L’agence travaille main dans la main avec l’université locale pour mettre en place des cours de russe en immersion. “Il y a beaucoup de bons emplois à prendre, assure-t-il, mais la plupart des entreprises locales ne sont pas en mesure de gérer des salariés qui ne parlent pas la langue.”

Un an à peine après leur arrivée dans la région de Nijni Novgorod – dont le climat et le relief sont étonnamment similaires à ceux de la Saskatchewan –, les Feenstra ont acheté [plus de 110 hectares] de terres, sont en train de se faire construire une maison, ont obtenu un permis de séjour de trois ans, et se préparent à lancer leur élevage et leurs cultures au printemps.

Les étrangers n’ayant pas le droit de posséder des terres en Russie, Arend Feenstra a monté une société avec un associé russe “de confiance” pour acheter sa ferme. S’il préfère taire le montant exact de la transaction, il assure toutefois que “[contrairement] au Canada, où les prix sont devenus délirants, la Russie est un pays immense avec beaucoup de parcelles de bonne qualité à un prix très intéressant”.

“Et puis, ici, le gouvernement veut que les agriculteurs réussissent.”

La famille retrace son aventure sur une chaîne YouTube. Elle y raconte ses visites de Moscou et de Nijni Novgorod, et s’enthousiasme de l’accueil chaleureux reçu un peu partout.

Les Feenstra ont bien connu quelques difficultés au début. Un jour, leur compte en banque a notamment été bloqué, le temps qu’ils justifient la provenance d’une grosse somme d’argent. Mais le problème s’est résolu en quelques jours.

“Au Canada, les habitants des régions rurales sont généralement très indépendants. Ici, le sens du collectif est plus marqué, constate Arend Feenstra. Les gens n’ont pas grand-chose, mais ils sont plus généreux. Les Russes ne vont pas tous à l’église, mais ils sont fidèles aux valeurs traditionnelles.” Et malgré la barrière de la langue, la famille s’est “déjà fait de bons amis”.

“Tisser des liens”

À Moscou, cette campagne d’immigration est chapeautée par Maria Boutina, députée du parti Russie unie. En 2018, elle avait été arrêtée aux États-Unis, accusée d’être un agent étranger, et avait passé dix-huit mois derrière les barreaux avant d’être extradée vers la Russie.

Boutina, qui affirme n’éprouver aucune rancœur vis-à-vis de Washington, nie formellement ces accusations. Elle ne cherchait qu’à “tisser des liens” entre Russes et Américains, assure-t-elle, et poursuit d’ailleurs cette mission aujourd’hui à la tête de l’agence Welcome to Russia, qui s’efforce de promouvoir les contacts entre les peuples grâce au tourisme et à l’immigration.

Sur le terrain, la députée travaille main dans la main avec les nouveaux arrivants, qu’elle aide à gérer leurs différents problèmes, et met à profit sa fonction politique pour défendre des réformes de l’inextricable système d’immigration russe. Quelque 3 500 citoyens des “pays hostiles” ont sauté le pas ces deux dernières années, majoritairement des Allemands, Britanniques et Nord-Américains. Ces nouveaux venus assument intégralement la charge financière de leur installation, précise-t-elle, sans aucune subvention du gouvernement russe.

“Il s’agit la plupart du temps de familles avec trois enfants ou plus. Nous ne sommes pas là pour offrir l’asile, ces gens obtiennent un visa sur décret présidentiel.”

“Ce n’est pas un projet politique, mais humain. Si ça ne se passe pas bien, si ces gens ne sont pas heureux ici, ils sont libres de repartir.”

Cela reste anecdotique au regard des flots de citoyens russes qui quittent régulièrement le pays, mais la Russie a toujours attiré quelques étrangers qui viennent s’y installer, puis se marient et fondent une famille.

Sarah Lindemann-Komarova est ainsi arrivée il y a plus de trente ans en Sibérie. Cette éducatrice à la retraite, qui continue d’exercer à temps partiel, vit aujourd’hui dans un petit village de l’Altaï, à la frontière avec la Mongolie.

“Je peux témoigner que les Russes sont accueillants et chaleureux, confie-t-elle. Tout n’est pas parfait dans ce pays, mais les gens sont fantastiques. J’avais peur que le fait d’être américaine me cause des problèmes, mais jusqu’ici, ça n’a jamais été le cas.”

Aucun signe de la guerre

La famille Feenstra est devenue la coqueluche des médias russes, mais les journaux nord-américains, eux, se sont étonnamment peu intéressés à leur expatriation. Les quelques articles à leur sujet sont extrêmement critiques : ils s’interrogent sur les raisons qui ont poussé la famille à quitter le Canada et accusent le Kremlin d’instrumentaliser cette histoire pour faire sa propagande. C’est la première fois qu’un journaliste occidental vient les interviewer dans leur pays d’adoption, constate Arend Feenstra.

Le père de famille ne s’intéresse pas vraiment à la politique. Quand on l’interroge sur la guerre en Ukraine, il se contente d’expliquer qu’il n’en a pas perçu le moindre signe depuis son arrivée.

Au sujet de Vladimir Poutine et de son régime autoritaire, il évite toute polémique et s’aligne sur les discours du Kremlin :

“Je n’ai encore jamais rencontré personne qui n’aime pas Poutine. Le gouvernement travaille main dans la main avec le peuple, dans un seul et même objectif.”

D’ici quelques mois, les Feenstra commenceront à produire leur viande et leurs légumes. Ils comptent les vendre directement à des restaurants, des supermarchés, et des particuliers pour éviter les intermédiaires.

“J’espère que chacun de nos enfants deviendra agriculteur à son tour, conclut Arend Feenstra. Ce genre de transmission n’est plus possible au Canada aujourd’hui. La Russie a bien plus à offrir.”