
Valérie Messika, dont la maison est un « game changer » de la place Vendôme, colore pour la première fois sa haute joaillerie de saphirs, spinelles et autres grenats.
Ce contre-pied nous a d’abord laissés perplexe. Que Valérie Messika célèbre les vingt ans d’existence de son entreprise avec des pierres de couleur alors que toute son histoire et son succès reposent sur le diamant n’a pas manqué de nous surprendre. Ajoutez à cela, toujours pour fêter cet anniversaire, la présentation il y a deux mois de nouvelles versions de ses best-sellers Move mettant en avant le travail de l’or. Il n’en fallait pas plus pour qu’on se demande si la directrice artistique et fondatrice de Messika ne s’était pas lassée des diamants… « Je vous rassure, ils restent et resteront toujours ma pierre fétiche, clame-t-elle. Mais après vingt ans à ne parler que de ma spécialité, les diamants, je voulais profiter de notre anniversaire pour m’octroyer cette liberté. C’est peut-être l’effet de la maturité ! Ça n’a pas été facile, j’ai découvert un autre monde, avec des codes et des pays de provenance très différents. Et puis j’ai toujours travaillé sur la pierre à l’indice de réfraction le plus élevé, or, avec les pierres de couleur, ce n’est pas toujours le critère principal. J’ai appris à regarder différemment, à comprendre le charme de chaque gemme, comme les inclusions d’une émeraude qu’on appelle un jardin. »
Il y a un an, elle a soumis l’idée à son père, André Messika, qui est aussi son pourvoyeur de diamants. Tout de suite séduit, il y a vu l’occasion de se lancer dans une nouvelle aventure. Travailler sur la traçabilité des pierres de couleur, comme il l’a fait précédemment sur le diamant, a piqué son esprit d’entreprise insatiable. Il s’est associé dans une manufacture de taille en Thaïlande et s’est passionné pour cette matière, nouvelle pour lui, et à laquelle «il croit beaucoup», précise sa fille. Elle, de son côté, habituée au blanc et au jaune des brillants, a distillé dans sa nouvelle collection de haute joaillerie toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, le rouge des spinelles, le orange des grenats mandarins, le violet des saphirs, le vert des tsavorites… « Toujours en association avec des diamants », insiste Valérie Messika, assise en face de l’atelier où les pièces sont fabriquées, au sein du nouveau siège de l’entreprise dans le Triangle d’or parisien.
Messika
La collection, qui affiche des volumes généreux, avec plusieurs pièces plus bombées (encore un effet de la maturité ?), sera en partie présentée aux clients et à la presse, la semaine prochaine, à Paris, avant un défilé en septembre pendant la Fashion Week. Ces jours-ci, les artisans de l’atelier s’affairent à mettre la dernière main à un torque à chevrons d’onyx, brillants et diamant de centre taille Cadillac (dont la table forme un angle droit) ; un collier triple rang Mille Feux constellé de pierres vertes et transformable pour être porté dans le plus d’occasions possibles ; des bagues toi et moi avec une poire orange en miroir d’une blanche ; last but not least, un ras-de-cou serti d’une émeraude de Zambie.
En créant une joaillerie plus fraîche, moins intimidante, et surtout destinée à être portée au quotidien plutôt qu’à rester au coffre, je pense, modestement, que nous avons un petit peu contribué au renouveau du secteur
Valérie Messika
Tout en vérifiant l’avancée des pièces, Valérie Messika nous raconte les étapes décisives de ces vingt dernières années. « Au début, on ne m’attendait pas… Comme mon père est dans les diamants, certains ont pensé que je voulais juste m’amuser, d’autant que c’était la mode de se lancer dans les bijoux. Le milieu de la joaillerie était très différent, Cartier et Bulgari étaient bien plus petits qu’aujourd’hui, la place Vendôme était très élitiste et parlait peu aux jeunes. En créant une joaillerie plus fraîche, moins intimidante, et surtout destinée à être portée au quotidien plutôt qu’à rester au coffre, je pense, modestement, que nous avons un petit peu contribué au renouveau du secteur. »
Yoann et Marco
La haute joaillerie est aussi un fil rouge de son ascension : 2013 et sa première collection présentée au Salon de Bâle ; 2015 et l’ouverture de l’atelier en interne ; 2018 et la parure spectaculaire portée par Beyoncé dans le clip du tube Apeshit, tourné avec Jay-Z dans le Louvre vide ; 2021 et le premier défilé consacré à la collection, cosignée avec Kate Moss… Ces pièces uniques, dont les ventes ont été multipliées par quatre ces trois dernières années, représentent aujourd’hui 15 % du chiffre d’affaires estimé à 210 millions d’euros en 2024 selon Morgan Stanley. L’entreprise qui compte 400 employés dans le monde, doit s’adapter à la croissance, « en gardant son âme », précise sa fondatrice qui travaille toujours avec les piliers des débuts, comme son cousin, son mari, sa meilleure amie, « rejoints par des gens très importants dans le dispositif comme le responsable de la production ».
Et de conclure : « Alors que le luxe ralentit, je suis convaincue que la joaillerie a de beaux jours devant elle. Le bijou devient de plus en plus désirable, sa valeur rassure et ne baisse pas, contrairement à celle d’un sac ou d’un accessoire de luxe. Je suis optimiste, même si être une “jeune” maison n’est pas facile tous les jours face aux géants à côté de nous, avec leurs gros investissements. Mais je vois bien qu’ils nous regardent comme des acteurs sérieux ! » Pour preuve, la quadragénaire parisienne ouvre, cette semaine, une boutique sur Madison Avenue à New York.