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aux funérailles de Hassan Nasrallah, “de quoi aurions-nous peur désormais ?”

- Business
février 24, 2025

Brusquement un brouhaha dans la foule immense, qui se serre sur les gradins et qui va même jusqu’à grimper sur les pylônes d’éclairage de la Cité sportive [de Beyrouth, capitale du Liban], indique qu’il se passe quelque chose.

Dans la tribune aménagée au milieu du terrain et dotée de deux écrans géants, une des portes qui mène aux vestiaires bouge : le convoi des deux cercueils entourés de fleurs apparaît. Les centaines de milliers de personnes présentes retiennent leur souffle.

[L’ancien leader du Hezbollah] Hassan Nasrallah [tué par une frappe israélienne le 27 septembre 2024 à Beyrouth] et [celui qui était considéré comme son probable successeur] Hachem Safieddine [tué par Israël le 3 octobre] sont donc bien morts, et ils sont là, dans ces boîtes longues recouvertes de tissus jaunes.

Les cercueils de Hassan Nasrallah et Hachem Safieddine lors de la cérémonie à la Cité sportive de Beyrouth (Liban), le 23 février 2025. photo DIEGO IBARRA SANCHEZ/NYT

Le chœur entame les prières et les gens éclatent en sanglots. Beaucoup ne croyaient en effet pas encore à la mort de “leur sayyed”. Mais ils comprennent soudain qu’il n’apparaîtra pas comme certains l’espéraient, ni sur grand écran ni à la tribune. Des hommes âgés, des jeunes, des femmes, des enfants, tous se mettent à pleurer, certains discrètement, d’autres à gros sanglots, “le sayyed que la plupart d’entre eux n’ont connu qu’à travers ses discours.

“Mort à Israël”

Et c’est ce moment particulier, tout en émotions, que les avions israéliens choisissent pour survoler la Cité sportive en faisant un grand bruit, destiné à couvrir les prières et les sanglots. Immédiatement, la souffrance de la séparation se transforme en colère face à la provocation.

Les mains qui se levaient pour le serment de la fidélité deviennent des poings brandis au rythme des cris “Mort à Israël”. Des centaines de milliers de personnes présentes, rares sont celles qui manifestent le désir de quitter les lieux. C’est comme si le survol bruyant des avions israéliens [donnait] une nouvelle force aux partisans de Nasrallah.

Ils restent donc sur place, suivant des yeux le convoi qui fait le tour du terrain, pour que la foule installée sur tous les gradins puisse le voir passer et exprimer sa peine. Les personnes présentes savent que les avions pourraient repasser, mais cela ne leur fait pas peur. Au contraire, elles veulent en découdre, et certaines lâchent même : “Nous avons perdu ce que nous avions de plus cher. De quoi aurions-nous peur désormais ?”

Au premier rang, les personnalités ne semblent pas impressionnées non plus par le survol des avions israéliens. Le chef des Marada [parti issu d’une milice chrétienne maronite allié au Hezbollah chiite], Sleiman Frangié, l’émir Talal Arslane, l’ancien président Émile Lahoud, le président de la Chambre [des députés], Nabih Berry, les responsables iraniens, le ministre Mohammad Haïdar, représentant le président du Conseil, le ministre de la Santé et de nombreuses autres personnalités, responsables ou ayant occupé des postes de responsabilité, évoluant généralement dans la mouvance de la moumanaa [courant favorable à l’alignement sur l’Iran au sein de l’“axe de la résistance”], tous sont là et regardent vers le ciel comme si le survol des avions israéliens n’était qu’un message qui se résume ainsi :

“Nous sommes encore là.”

Les avions partis, l’émotion de la perte du “sayyed” reprend le dessus. Les échanges deviennent réduits au minimum, faute de pouvoir exprimer autrement que par les accolades la peine causée par la mort de Nasrallah et de Safieddine.

Mais dans cette cérémonie, les regards ne sont pas vraiment posés sur les personnalités, comme c’est généralement le cas dans de telles circonstances. Ils guettent essentiellement un petit groupe qui essaie de se faire discret, tout en étant aussi au premier rang, face à la tribune.

Il s’agit du père de Hassan Nasrallah, de ses frères, dont un surtout qui lui ressemble de façon impressionnante, et de ses deux fils, surtout le plus jeune, Mohammad Mehdi, devenu récemment un homme de religion portant le turban noir. Ce dernier attire tous les regards.

Sans le dire clairement, tous ceux qui le connaissent voient en lui le successeur de son père, et il sait sans doute que sa ressemblance physique avec ce dernier rend cette hypothèse encore plus crédible. Mohammad Mehdi fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière de la part des responsables iraniens présents, le président du Parlement, mais aussi les responsables des Gardiens de la révolution [organisation paramilitaire du régime iranien].

À certains moments, ses épaules bougent et on devine qu’il est en train de pleurer, comme tous ces gens venus faire leurs adieux à son père. Mais les images les plus marquantes sont encore celles des 9 000 membres du Hezbollah mobilisés pour l’organisation et le bon déroulement de la cérémonie.

Répartis sur l’ensemble du parcours, de la Cité sportive à la destination finale, partagés en équipes chargées du protocole, d’autres de la sécurité et d’autres encore de la distribution d’eau, sans parler des groupes destinés à s’occuper des voitures et des moteurs électriques installés pour la cérémonie, ces membres avaient tous la même émotion en accomplissant leur mission.

“Le Hezbollah restera”

Ils ont prêté le serment de fidélité à Hassan Nasrallah et ils estiment que c’est désormais leur engagement prioritaire. Le second survol des avions israéliens est ainsi l’occasion pour eux de déclarer que “les avions peuvent passer, le Hezbollah, lui, restera”.

Un portrait de Hassan Nasrallah parmi les décombres d’un immeuble de la banlieue sud de Beyrouth détruit par une frappe israélienne, le 14 novembre 2024. photo DIEGO IBARRA SANCHEZ/NYT

Se remettre des terribles coups reçus est, à leurs yeux, la meilleure réponse aux Israéliens et à tous ceux qui avaient décrété que le Hezbollah est fini. “Comment peut-on être fini, lance un des responsables des installations sécuritaires à la Cité sportive, quand on réussit à mobiliser autant de gens, venus de tous les coins du pays et même de la région ?”

“Comment peut-on être fini quand on arrive à gérer la présence de tant de personnes et même une si grande douleur, sans un coup de feu, comme le souhaitait le sayyed ?”

Pour eux, cette flamme ne s’éteindra pas de sitôt. Après ce petit échange, ils reviennent à leurs fonctions, les gens commencent à partir, un départ qu’ils tiennent à être aussi bien organisé que les arrivées. D’autant plus que même si le nouveau chef du parti, Naïm Kassem, est en train de parler, le vide laissé par “le sayyed” est désormais bien pesant, et ils savent qu’au Liban et ailleurs on suit de près la moindre faiblesse du Hezbollah.

Cessez-le-feu Israël/Hezbollah : le retrait incomplet des troupes israéliennes. SOURCES : “L’ORIENT- LE JOUR”, INSTITUTE FOR THE STUDY OF WAR.