Quand de vieux pots en fer changent la vision d’une civilisation… “Refonder l’histoire”, titre, en couverture, le dernier numéro du bimensuel indien Frontline. Avec, à l’appui, une photo d’objets en fer découverts dans le sud de l’Inde, et le sous-titre suivant :
“L’affirmation surprenante venue du Tamil Nadu, selon laquelle l’âge du fer y a prospéré, avec des preuves remontant à 3345 ans avant notre ère, n’est pas seulement une question de maîtrise de la métallurgie mais aussi une remise en cause de la chronologie de la civilisation.”
Fin janvier, Muthuvel K. Stalin, le ministre en chef de l’État du Tamil Nadu, dans le sud-ouest de l’Inde, avait présenté en grande pompe une étude qui situe l’âge du fer dans le sous-continent au premier quart du IVe millénaire avant notre ère – très précisément entre -2953 et -3345.
C’est deux millénaires plus tôt que les dernières découvertes, lesquelles situaient l’ancienneté du fer au IIe siècle avant J.-C., à partir de sites au Rajasthan et en Uttar Pradesh, soit en Inde du Nord, berceau de la culture dite aryenne – que l’on oppose souvent à l’autre substrat de la civilisation indienne, à savoir la culture dravidienne, propre au sud du sous-continent.
Revendications inventées
Selon l’éditorial de Frontline, “ces découvertes, authentifiées par des laboratoires d’archéologie internationaux de premier plan, confirment l’ancienneté de la culture dravidienne dans l’histoire du sous-continent et indiquent que l’âge du fer a existé dans cette partie du pays en parallèle avec l’âge du bronze dans la vallée de l’Indus [dans le nord du pays]”. L’âge du bronze précède l’âge du fer, ce qui fait dire à Frontline qu’“on peut s’attendre à une réaction négative des aryanistes”.
Ces “aryanistes” défendent l’idée d’une suprématie culturelle des Aryens sur la culture dravidienne, qui n’aurait que “suivi” le grand élan civilisationnel diffusé depuis l’Inde du Nord. Ce que Frontline décrit en ces termes :
“Bien sûr, l’archéologie n’est pas un terrain nouveau pour la compétition entre les nationalismes. La pierre angulaire des nationalismes ethniques modernes repose sur des revendications inventées à partir des découvertes d’antiquités.”
Échanges ou “pureté”
Ce sont des archéologues britanniques, emmenés par Alexander Cunningham, qui ont découvert au XIXe siècle ce que l’on allait appeler la civilisation de la vallée de l’Indus et “injecté de l’adrénaline nationaliste dans les veines culturelles de l’Inde. Ils ont également été à l’origine des revendications chauvines d’une antiquité exagérée, de la politique de l’antériorité aryenne et du dogme de la ‘pureté’”.
Une notion de pureté qui va essaimer jusqu’en Europe, au point que les nazis vont aller jusqu’à s’approprier une antériorité aryenne fantasmée pour décrire la race supérieure.
En montrant que cette civilisation de l’Indus a entretenu des contacts prolongés avec les populations identifiées comme dravidiennes, lesquelles maîtrisaient des techniques plus avancées, c’est une tout autre vision de l’Inde qui est proposée, faite d’échanges et de métissages. “Pour cette seule raison, conclut Frontline, ces découvertes sont inestimables.”