“Des visiteurs à 3 heures du matin ? C’est inhabituel.” Ainsi l’hebdomadaire satirique guinéen Le Lynx amorce-t-il le “film d’un énième enlèvement” en Guinée. En l’occurrence, celui de l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, Me Mohamed Traoré. Trois jours après son retour du pèlerinage à La Mecque, il a été la cible d’un rapt à son domicile dans la nuit du 20 au 21 juin.
“Les visiteurs indésirables, des agents en civil armés, ont escaladé la cour, défoncé la porte du salon, avant de faire irruption dans la maison. […] ‘Ils ont demandé à Maître Traoré de les suivre. À la sortie, ils ont giflé mon mari, avant de partir avec lui’, a expliqué Mme Traoré Aminata Diallo, sous le choc.”
Critique des dérives autoritaires du régime de Mamadi Doumbouya au pouvoir depuis le putsch du 5 septembre 2021, Me Traoré était également démissionnaire du Conseil national de la transition (CNT), au motif que ce dernier n’avait pas respecté le délai du transfert du pouvoir aux civils à l’issue d’élections, fixé à deux ans.
La responsabilité de la junte en question
Il allonge la liste des personnalités enlevées par de mystérieux commandos, à l’instar des opposants Foniké Mengué et Mamadou Billo Bah, du haut fonctionnaire Saadou Nimaga, du journaliste Habib Marouane Camara, pour les plus connus. Mais contrairement à ces derniers, Me Traoré a été libéré, “dans un état d’inconscience, dans une cour”, à une cinquantaine de kilomètres de Conakry.
Le communiqué de l’ordre des bâtonniers de Guinée, relayé par Le Lynx, décrit de fait des traitements d’une “extrême violence et d’une brutalité inqualifiable”. Le chef présumé des “sept hommes cagoulés” qui l’ont enlevé a ordonné, lors de sa séquestration, “de ne pas interrompre les coups avant d’atteindre 500 flagellations”. Ses agresseurs lui ont notamment reproché sa démission du CNT et ses prises de parole.
Toujours selon ce communiqué, de nombreux indices, et notamment le fait que ces assaillants ont franchi sans encombre des points de contrôle tenus par les forces de l’ordre, convergent pour prouver la responsabilité de la junte militaire dans cet enlèvement.
De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les tortures subies par cette éminente figure de la société civile guinéenne. “Quand les avocats sont attaqués, c’est la justice qui est en danger”, a déclaré la Conférence des barreaux de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest, citée par Guinée 360.
Le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, en exil, a rendu hommage à l’ancien bâtonnier sur sa page Facebook, lit-on sur le site GuineeLive. “Il a publiquement condamné les disparitions forcées, l’assassinat impuni de jeunes manifestants, les détentions arbitraires et les entraves à la liberté de la presse.” Il croit savoir ce qui a pu déclencher cet enlèvement – autrement dit, ce qui a pu être “la goutte d’eau qui a fait déborder le vase” : “C’est sans doute son dernier article dans lequel il estime inopportun d’organiser une mascarade électorale juste pour permettre au chef de junte de rester au pouvoir.”
Autre acteur politique, Elhadj Aboubacar Biro Soumah, président du Parti pour le progrès et le changement, a déclaré dans les colonnes de Guinée Matin : “Toutes les voix dissonantes sont en train d’être supprimées.”