Au fond de moi, j’ai toujours soupçonné que j’avais quelque chose qui ne tournait pas rond. Maintenant, j’en ai la preuve. Tandis que j’encaisse le choc, je me demande comment annoncer la nouvelle à mes proches. Comment leur dire que j’ai… c’était quoi, déjà ? Je refais défiler les 36 pages intimidantes de mes résultats d’analyses sanguines. Ah ! oui. Des taux élevés de ferritine.
Certes, je ne savais pas ce qu’était la ferritine il y a deux minutes, mais une consultation rapide avec le docteur Google me révèle que de forts taux de cette protéine peuvent être causés par une surcharge de fer, une inflammation, une maladie du foie ou – comme n’importe quel symptôme lorsqu’on le tape dans un moteur de recherche – un cancer.
Je poursuis ma lecture. Ça ne s’arrange pas. Mes taux d’amylase et de lipase pancréatique (ne me demandez pas que c’est) se révèlent“extrêmement élevés”. Encore un petit coup de Google et j’apprends que des taux de lipase élevés sont associés “à la pancréatite, à l’ulcère peptique, à la maladie inflammatoire [chronique] de l’intestin, à l’alcoolisme, aux maladies rénales ou hépatiques” et, vous l’aurez deviné, aux “cancers du pancréas ou de l’estomac”.
Une histoire de “biomarqueurs”
Je me mets à fantasmer sur mes obsèques, à la manière d’Amélie Poulain. “Elle est partie trop tôt” : tel sera le cri de ralliement des foules endeuillées, inconsolables.
Tandis que je commence à étoffer la scène en y ajoutant des auteurs d’oraisons funèbres, une notification Zoom apparaît à l’écran pour ma consultation avec le docteur Philip Borg, de la clinique Longevity Doctor. Pauvre gars… Je ne l’envie pas de devoir informer ses patients que leurs jours sont comptés. Mais je suis bien décidée à rester stoïque face à la tragédie.
Je clique sur le lien et le visage souriant du docteur Borg apparaît. “Hello, Helen !” me lance-t-il, rayonnant. Un peu trop rayonnant pour un homme qui s’apprête à annoncer une nouvelle terrible, qui va changer ma vie. “Comment allez-vous ?”
Comment je vais ? Mais enfin, j’ai des taux élevés de ferritine, d’amylase et de lipase pancréatique ! Je ne peux pas aller bien ! J’adresse au médecin un petit sourire crispé, attendant que le couperet tombe.
“Donc, j’ai regardé vos résultats, et dans l’ensemble tout va très bien”, conclut-il d’un air jovial. Attendez…
“Vos biomarqueurs n’ont rien d’inquiétant et vous faites les bons choix en matière de mode de vie”, poursuit-il. Je décommande mentalement les traiteurs pour mes obsèques. “Et votre sensibilité à l’insuline est excellente.” J’arrête d’ajouter des morceaux à la playlist de commémoration.
“Et mes taux de ferritine ?”, lui demandé-je timidement, n’osant pas encore retrouver l’espoir. Le docteur Borg reste imperturbable. “Nous ne nous en inquiéterions que si vous aviez d’autres symptômes.” Hum… J’avais peut-être un petit peu cédé au pathos.
Si je me suis fait faire des analyses médicales complètes, ce n’est pas parce que j’avais quelque chose qui n’allait pas – loin de là. C’est plutôt que l’on m’avait proposé une consultation quelques semaines auparavant pour que je teste par moi-même la nouvelle tendance santé et bien-être à la mode – “la médecine de la longévité” – pour voir de quoi il retournait.
La “longévité”, nouvelle stratégie marketing ?
La longévité, d’après ses partisans dans les médias traditionnels, n’est pas réservée aux 0,1 % [des plus riches] – ce n’est ni une “tendance” ni une “mode”. Il s’agirait d’une démarche préventive et individuelle dans le domaine de la santé, consistant à accroître l’espérance de vie et à améliorer la qualité de vie par des interventions en amont, adaptées à l’individu. La recherche sur la longévité révèle q