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Le parcours du combattant des doctorants burkinabè pour financer leur thèse

- Business
juin 29, 2025

Ousmane Barro, la trentaine, vient de quitter une salle de l’université de Ouagadougou où se tiennent les doctoriales, une sorte d’ateliers pour des doctorants de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. Doctorant en deuxième année de thèse en littérature anglaise, il a choisi cette voie après un master 2. Le jeune homme qui se dit animé par un amour pour la recherche a décidé de poursuivre ses études malgré les incertitudes.

Tout enthousiaste, il s’inscrit en thèse. Mais très vite, la réalité lui oppose ses premières épreuves. Ousmane n’a pu obtenir la bourse nationale à laquelle il a postulé. “Cette année, il y avait 50 bourses disponibles pour plus de 3 000 postulants”, regrette-t-il. Sans véritables ressources financières, ni emploi comme certains camarades, mener une recherche doctorale devient un véritable parcours du combattant.

Entre les longues heures passées à consulter des ouvrages dans les bibliothèques et les déplacements nécessaires sur le terrain, les dépenses s’accumulent. “Par exemple, je dois aller à Abidjan pour une conférence. Mais c’est sur fonds propres. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller pour y aller et y passer soixante-douze heures”, dit-il, visiblement préoccupé.

Maux de tête

Ces difficultés, Agathe Defewani les connaît. Elle aussi est en deuxième année de thèse en littérature anglaise à l’université Joseph Ki-Zerbo. Pour elle, la poursuite des études doctorales relève plutôt de la stratégie. Frappée par la barrière d’âge de 37 ans pour les concours de la fonction publique, elle préfère la voie de la recherche. “On s’est dit, si la porte est fermée d’un côté, il faut bien qu’on continue d’ouvrir d’autres portes. Voilà, c’est ce qui explique cette motivation-là”, souligne-t-elle avec lucidité.

Mais là encore, les obstacles ne manquent pas. En plus des frais liés à la recherche, Agathe doit faire face à l’incompréhension de son entourage. “Quand vous êtes dans la recherche, le côté social est souvent négligé. Beaucoup de gens ne comprennent pas, ils ont tendance à voir que nous sommes détachés alors que c’est pour des raisons de recherches”, soupire-t-elle.

COURRIER INTERNATIONAL

La recherche exige aussi des lectures incessantes. Mais l’accès aux ouvrages n’est pas toujours garanti. “Souvent, il y a des documents qu’on ne trouve pas”, poursuit-elle. Pourtant, l’université dispose de deux grandes bibliothèques et de plusieurs autres au sein des différentes unités de formation. Malgré cela, certains ouvrages récents, souvent indispensables, manquent. Cela freine considérablement l’avancée des travaux de recherche.

Pour pallier ce manque, beaucoup se tournent vers le numérique. Une solution pratique mais rarement gratuite. “Il faut commander sur des sites. Lorsque vous êtes financièrement limité, ça donne vraiment des maux de tête. Ça devient un blocage même dans l’avancée de la recherche”, insiste Agathe.

Hassan Ouédraogo, doctorant en sciences et technologies dans le même établissement, est confronté à un tout autre type d’obstacle. Celui de l’insécurité. Pour récolter les données nécessaires à sa thèse, il doit se rendre sur le terrain. Mais certaines zones sont inaccessibles à cause du contexte sécuritaire tendu. L’an dernier, un projet d’accompagnement des étudiants avait été mis en place, mais il n’a pas été reconduit. “Souvent, tu arrives dans une localité où tu n’as pas accès aux forêts, parce qu’il y a des travaux de sécurisation en cours. Donc, tu es obligé de rester à côté, ce qui n’est pas forcément la zone que tu aurais voulue”, s’indigne-t-il.

Complexité du travail de terrain

Ces difficultés amènent certains étudiants à dépasser le délai réglementaire de trois ans sans pouvoir soutenir. “Si tu dois collecter tes données dès la première année, et que le financement n’est pas acquis, et que tu attends la deuxième année pour commencer à collecter, ou même la troisième année, c’est évident que tu ne peux plus faire la thèse en trois ans”, déplore-t-il.

Son ami Adama Taounda, qui a récemment soutenu une thèse liée aux changements climatiques grâce à un programme spécial, confirme la complexité du terrain : “Vu le contexte actuel, les populations sont réticentes à donner certaines informations. Pour analyser les données, on essaie de confronter les données recueillies lors des entretiens et ce qu’on a constaté sur le terrain.”

Pour tenir, ces doctorants cumulent les activités parallèles. Ousmane, par exemple, enseigne comme vacataire dans des établissements secondaires. Il perçoit aussi une aide de l’État fournie par le Fonds national pour l’éducation et la recherche (Foner). “Il y a une aide de l’État sous forme de prêts à 300 000 francs CFA [457 euros] par an qui nous permet de financer les études”, indique-t-il.

Agathe, de son côté, a dû abandonner l’enseignement en raison d’un congé maternité. Pour continuer à financer ses études, elle s’est tournée vers le petit commerce. Malgré ces difficultés, ils ne comptent pas lâcher. Ils espèrent soutenir un jour et enfin embrasser une carrière de chercheur.