Alors que le 14e anniversaire de l’accident de Fukushima (survenu le 11 mars 2011) approche, c’est une décision judiciaire inédite qui pourrait marquer l’histoire de l’énergie nucléaire au Japon.
Dans le procès pénal pour homicide par imprudence intenté en 2016 contre la direction de l’opérateur d’électricité Tepco, la Cour suprême du pays a innocenté les accusés mercredi 5 mars, rapporte le Yomiuri Shimbun, considéré comme le quotidien le plus vendu dans le monde.
La direction de l’entreprise, qui exploitait la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, était accusée de ne pas avoir mis en place les mesures de prévention nécessaires alors qu’elle aurait dû, selon l’accusation, anticiper qu’un tel tsunami puisse frapper le site.
De ce fait, les deux accusés, Ishiro Takeguro et Sakae Muto, responsables de la gestion des centrales nucléaires de Tepco à l’époque, étaient inculpés pour la mort de 44 personnes, parmi lesquelles des patients de l’hôpital de Futaba, situé à 4,5 kilomètres de la centrale.
Hospitalisées dans cet établissement et, pour certaines d’entre elles, alitées, elles ont péri en attendant les secours. Les autorités japonaises avaient mis cinq jours au total pour évacuer le site.
La décision de la Cour suprême, qui signifie l’acquittement définitif des accusés, confirme la décision rendue par la cour du district de Tokyo en 2019, et celle de la Haute Cour de 2023, poursuit le journal.
Tepco pouvait-il anticiper l’accident de Fukushima ?
Ce procès a été rendu possible grâce à une procédure de recours impliquant un comité spécial composé par les jurés, rappelle le site de la chaîne publique nippone NHK. En dénonçant la responsabilité pénale du Tepco dans l’accident, 14 000 personnes, dont des habitants de Fukushima, avaient saisi le parquet japonais en 2012.
Ce dernier avait pour autant préféré ne pas inculper l’entreprise, mais les jurés avaient renversé cette décision en 2014.
L’enjeu majeur de ce procès était de savoir si la direction de l’opérateur d’électricité était en mesure d’anticiper les tsunamis de 2011. Certes, avant que les tremblements de terre ne se produisent, les deux accusés disposaient bel et bien de l’information selon laquelle des vagues de 15,7 mètres de haut au maximum pouvaient frapper la centrale.
“Néanmoins, les juges de la Cour suprême ont indiqué que le degré de fiabilité de l’évaluation de l’État sur laquelle cette information était fondée n’était pas suffisamment élevé”, rapporte le journal Asahi Shimbun, qui résume la sentence. Ainsi, ils ont conclu que, pour condamner les deux accusés, le fait qu’ils aient eu accès à l’information n’était pas suffisant, donnant raison aux décisions de première et deuxième instances, qui les avaient innocentés.
“Rendre de futurs accidents nucléaires possibles”
Au Japon, où l’État procède au retour du nucléaire au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, cette décision d’acquitter Tepco pourrait avoir des répercussions majeures, souligne le quotidien.
Dans la loi japonaise, il revient aux opérateurs d’électricité qui gèrent les centrales d’assurer la sécurité de celles-ci. Certes, après l’accident de Fukushima, les normes en la matière ont été considérablement renforcées, rendant plus chère la construction de centrales.
Cependant, “du fait de la libéralisation du marché de l’électricité, les opérateurs s’emploient à réduire les coûts”, écrit le journal. “Pour leur survie, il est naturel qu’ils se laissent tenter par l’idée de limiter les frais de sécurité. S’ils le veulent vraiment, ils peuvent très bien dissimuler des problèmes techniques”, s’inquiète Tadahiro Katsuta, spécialiste en politique énergétique à l’université Meiji, cité par le quotidien.
Pour les habitants de Fukushima qui avaient poussé le parquet à inculper Tepco, la décision de la Cour suprême est perçue comme profondément injuste. “Rendre une telle décision juste avant l’anniversaire de l’accident traduit pour moi une cruauté visant à fouler aux pieds les sentiments des victimes”, s’est indignée Ruiko Muto.
Pour cette représentante d’un collectif citoyen, citée par NHK, “choisir de ne pas condamner la direction de Tepco, c’est rendre de futurs accidents nucléaires possibles. Je regrette profondément qu’ils n’aient pas compris ce point.”