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Cannes 2025 – Pronostics croisés à quelques heures du palmarès

- Monde
mai 29, 2025

Le rideau s’apprête à tomber sur la 78e édition du Festival de Cannes. Dans quelques heures, le jury présidé par Juliette Binoche dévoilera son palmarès. Une édition riche, où les propositions esthétiques se sont multipliées, avec un équilibre délicat entre cinéma politique, récits intimes, expérimentations formelles et grandes performances d’acteurs. À mesure que la fin approche, les spéculations se multiplient, les critiques échangent, comparent, défendent leurs coups de cœur. Et comme souvent, les pronostics divergent.

Du côté de la presse internationale, deux titres émergent très nettement parmi les favoris pour la Palme d’or. Le plus souvent cité est Sentimental Value du Norvégien Joachim Trier, un drame familial tout en délicatesse, porté par Renate Reinsve et Stellan Skarsgård. Le film a ému jusqu’aux larmes une partie de la critique, et sa projection a été suivie d’une ovation de 19 minutes. Sensible, fin, d’une rare justesse émotionnelle, Sentimental Value s’inscrit dans la lignée des œuvres intimistes célébrées à Cannes ces dernières années. Distribué par Neon, déjà derrière plusieurs Palmes récentes, il coche toutes les cases du favori « raisonnable ».

Mais un autre titre revient aussi régulièrement dans les papiers des journalistes : Un simple accident/It Was Just an Accident de Jafar Panahi, film iranien audacieux, politique, drôle et tragique à la fois. Jafar Panahi, toujours empêché de tourner dans son pays, livre ici un récit d’une grande liberté formelle, où la satire sociale s’infiltre par les ressorts d’une comédie presque burlesque. Beaucoup de critiques saluent ce film comme l’un des plus percutants de la sélection. Y compris moi-même.

Un simple accident vient d’ores et déjà de remporter le Prix de la Citoyenneté 2025 décerné par l’association Clap Citizen Cannes.

Ce sont justement les deux films que je place, personnellement, tout en haut de ma propre liste. Il me reste encore trois films en compétition à découvrir, mais ceux-là s’imposent déjà par leur puissance. Jafar Panahi d’un côté, pour sa capacité à dire l’Iran d’aujourd’hui, et d’ailleurs l’humanité entière, avec un humour noir salutaire, et Joachim Trier de l’autre, pour cette manière bouleversante de raconter le deuil, l’amour filial et le temps qui passe. Deux propositions radicalement différentes, mais également maîtrisées.

Pour les prix d’interprétation, la critique internationale penche volontiers du côté de Josh O’Connor (The Mastermind) et Yui Suzuki (Renoir), souvent cités comme favoris. Des performances sans doute solides, mais pour ma part, mes regards se portent ailleurs.

Du côté féminin, Parinaz Izadyar m’a bouleversée dans Woman and Child de Saeed Roustaee. Elle incarne une mère prise dans une situation sociale et judiciaire infernale avec une pudeur et une intensité remarquables. Son visage hanté, sa dignité blessée, sa détermination muette : elle compose un personnage inoubliable.

Renate Reinsve a aussi été grande dans son rôle dans Sentimental value, la scène de panique avant sa première est juste extraordinaire. Tout le long du film, elle a su jouer son rôle avec une grande palette d’émotions justes.

Une autre possibilité réside peut-être dans Léa Drucker, formidable dans Dossier 137. Elle joue avec une grande précision, rendant palpable l’ambiguïté morale de son personnage. Un rôle difficile, tenu avec une rigueur. Elle est un peu la préférée de la presse française.

Chez les hommes, pourquoi ne pas imaginer Tahar Rahim couronné pour Alpha de Julia Ducournau? Sa performance est toute en tension, traversée d’une rage contenue, d’un désespoir brut. Il impressionne par son engagement total dans ce rôle physique et intérieur à la fois. Peu de journalistes l’ont cité dans leurs pronostics, mais cela ne veut rien dire à Cannes.

En ce qui concerne les autres prix, la presse semble assez unanime sur la qualité de The Secret Agent de Kleber Mendonça Filho, souvent évoqué pour un Grand Prix. Film ambitieux, dense, politique, il s’impose par la maîtrise de sa narration, sa puissance visuelle et sa portée contemporaine. Il figure aussi dans mes choix personnels.

Quant à Woman and Child, il mériterait selon moi au moins un prix du meilleur scénario, tant sa construction narrative épouse brillamment la tension sociale et l’effondrement intime. Le travail de Saeed Roustaee, sur le plan de l’écriture, est remarquable. Le film déroute par ses différents « twists », à chaque fois qu’on a l’impression que le film va dans une direction, il en prend une autre, à notre grande surprise. Sans oublier que le suspense demeure jusqu’à la dernière minute.

Un autre film a fait couler beaucoup d’encre : Sirat, régulièrement cité par les critiques pendant le festival. Il a marqué, dérouté, provoqué. Sa place dans le palmarès est possible, bien que son extrême singularité puisse aussi le desservir. Il fascine autant qu’il interroge : c’est souvent bon signe à Cannes, mais le jury en décidera.

Dans tous les cas, les lignes ne sont pas encore figées. La variété des films cités, les divergences d’opinion, les surprises possibles – tout cela rappelle que le palmarès cannois échappe souvent aux logiques linéaires. Et c’est ce qui le rend si passionnant.

Rendez-vous ce soir pour la réponse du jury. Les dés sont lancés, les jeux sont faits !

Neïla Driss