
Chaque année, la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, accueille des centaines de pèlerins juifs, venus célébrer dans un esprit de paix et de spiritualité. Mais cette année, un détail a cristallisé l’attention bien au-delà des rituels religieux : l’affichage de photos d’otages israéliens détenus par le Hamas, accompagnées du slogan “Bring Them Home Now”, a provoqué une vive controverse en Tunisie.
Des images de pèlerins tenant des portraits d’otages – civils ou membres des forces israéliennes – ont circulé sur les réseaux sociaux et dans la presse internationale, créant un malaise dans une société tunisienne déjà sensible à la question palestinienne.
Pour de nombreux observateurs, ce geste a introduit un élément politique dans un lieu de culte censé rester neutre. Le slogan “Bring Them Home Now”, créé par des familles d’otages israéliens, va au-delà d’un simple appel humanitaire : son site officiel qualifie le Hamas de “mouvement terroriste” et affirme vouloir “poursuivre ses membres pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité”.
Un message perçu comme problématique, notamment dans un pays où la cause palestinienne bénéficie d’un fort soutien populaire et où l’opinion publique reste très critique envers les actions militaires d’Israël.
Dans une publication remarquée sur les réseaux sociaux, le journaliste tunisien Bassem Bounani a exprimé son indignation :
“Les Juifs de Tunisie ont pleinement le droit de pratiquer leur culte en toute liberté, avec la protection des autorités si nécessaire. Mais j’ai aussi le droit, en tant que citoyen, de savoir qui a autorisé l’exposition de photos d’un policier de l’armée d’occupation tué le 7 octobre 2023, ainsi que d’otages sionistes détenus par le Hamas, lors du pèlerinage à la Ghriba. Cette prise de position n’a rien à voir ni avec la position officielle de l’État, ni avec celle du peuple, ni avec la synagogue en tant que lieu de culte.”
Une confusion des espaces
La controverse repose sur une distinction fondamentale : celle entre la pratique religieuse, qui doit être protégée et respectée, et l’expression politique, qui, dans un contexte aussi sensible, peut provoquer des tensions. Le risque est grand de voir la Ghriba devenir malgré elle un espace instrumentalisé pour des causes étrangères au culte, exposant ainsi la communauté juive de Tunisie à des polémiques indésirables.
Pour l’État, garantir la sécurité du pèlerinage tout en évitant les débordements d’ordre politique devient un exercice d’équilibrisme. Il s’agit de respecter les engagements de protection des minorités religieuses tout en tenant compte de la sensibilité populaire au conflit israélo-palestinien.
La polémique actuelle autour des photos des otages israéliens met en lumière une tension persistante entre liberté religieuse, neutralité des lieux de culte et perception politique des symboles affichés. Elle interroge aussi sur la responsabilité des organisateurs et des autorités en matière de cadrage des manifestations religieuses accueillies sur le sol tunisien.