
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’apprête à adopter un projet de loi, qualifié de « révolution législative » par une majorité de députés, qui rebat les cartes du marché du travail en Tunisie. En ligne de mire : l’interdiction pure et simple de la sous-traitance et l’imposition quasi généralisée du contrat à durée indéterminée (CDI). Portée par une majorité enthousiaste, la réforme suscite néanmoins des inquiétudes dans certains secteurs, en particulier celui du gardiennage.
Un projet de loi unanimement salué… ou presque
Dans l’hémicycle, les députés ne tarissent pas d’éloges sur ce texte présenté comme une « révolution législative ». Pour nombre d’élus, il s’agit d’une réponse attendue à la précarisation du travail et à l’exploitation des agents contractuels, en particulier dans les institutions publiques. Le CDI, imposé par défaut avec une période d’essai strictement encadrée, est vu comme un levier de stabilité et de dignité pour les travailleurs.
L’interdiction de la sous-traitance est également au cœur du texte. Elle concernera tous les secteurs, y compris ceux longtemps habitués à externaliser des fonctions dites « auxiliaires » : nettoyage, gardiennage, maintenance. Plusieurs députés y voient la fin d’un système opaque de contrats en cascade, souvent peu protecteurs pour les travailleurs.
Alors que les débats en plénière semblent tranchés – la quasi-totalité des députés ayant affiché leur soutien – une question reste en suspens : le vote est-il déjà acquis, ou reste-t-il un espace pour la contestation et la révision ? Car si l’intention de protéger les travailleurs est salutaire, les conséquences concrètes du texte ne font pas l’unanimité.
A mesure que la réforme prend forme, les critiques émergent. Nacer Yatouji, membre de la chambre syndicale des entreprises de sécurité, ne mâche pas ses mots : cette loi, dit-il, revient à « condamner à mort » un secteur structuré et réglementé. Selon lui, l’amalgame opéré entre sous-traitance informelle et entreprises spécialisées jette l’opprobre sur des structures encadrées par l’État, soumises à autorisation et contrôle permanent du ministère de l’Intérieur.
Le gardiennage, qui regroupe quelque 200 entreprises selon ses estimations, n’est pas un pourvoyeur de main-d’œuvre interchangeable, mais un prestataire de services intégrés, avec formation et encadrement à la clé. L’absence d’étude d’impact économique et social alimente les réserves : quel sort pour ces entreprises ? Et pour leurs employés ?
La précipitation législative en question
Un député a proposé le renvoi du texte en commission pour ajustements, rappelant que toute réforme majeure mérite un minimum de visibilité sur ses effets concrets. Combien de travailleurs sont concernés ? Quelles alternatives pour les structures qui sous-traitent aujourd’hui ? Le flou persiste.
Si les objectifs affichés – justice sociale, stabilité de l’emploi – font consensus, les modalités d’application du projet inquiètent par leur radicalité. La Tunisie a-t-elle les moyens d’une telle transformation brutale ? Sans accompagnement, cette réforme pourrait fragiliser davantage un tissu économique déjà sous tension.