
Chaque année, au-delà de la frénésie des tapis rouges et des premières mondiales, le Festival de Cannes offre un espace privilégié de parole et de transmission : Les Rendez-vous du Festival. Ces moments rares permettent à de grandes figures du cinéma mondial de s’adresser directement aux festivaliers, dans un cadre intime, loin des projecteurs, pour partager leurs inspirations, leurs doutes, leur manière de faire du cinéma.
Pour cette 78e édition, le Festival a convié quatre artistes majeurs à se livrer dans trois rencontres publiques. Trois rendez-vous très attendus, où le dialogue prend le pas sur la démonstration, et où l’art de faire des films se dévoile, dans toute sa complexité et sa passion.
Christopher McQuarrie : la précision de l’action, le souffle du récit
Le premier rendez-vous aura lieu le mercredi 14 mai à 12h30 dans la Salle Debussy, avec Christopher McQuarrie, figure clé du cinéma d’action américain contemporain. De retour sur la Croisette après avoir accompagné Top Gun: Maverick en tant que producteur en 2022, il est cette fois présent pour défendre un projet d’une toute autre envergure : Mission: Impossible – The Final Reckoning, qu’il a réalisé.
Oscar du meilleur scénario en 1996 pour Usual Suspects de Bryan Singer, Christopher McQuarrie a su depuis imposer sa signature de metteur en scène exigeant, alliant maîtrise narrative et performance technique. De Jack Reacher aux quatre derniers opus de la saga Mission: Impossible, il a su forger une grammaire propre, où la chorégraphie des corps, la mécanique des cascades et l’intensité dramatique fusionnent dans un ballet spectaculaire.
Sa collaboration avec Tom Cruise, devenue légendaire, dépasse les codes traditionnels du tandem acteur-réalisateur : ensemble, ils réinventent les frontières de l’action au cinéma, mêlant adrénaline pure et exploration du personnage. Cette rencontre cannoise s’annonce donc comme un moment fort, pour comprendre comment l’on construit, aujourd’hui, un cinéma populaire exigeant et précis, qui repousse sans cesse les limites du possible.
Robert De Niro : une Palme d’or d’honneur pour une légende
Le même jour, mercredi 14 mai à 15h15, la Salle Debussy accueillera un moment de grâce : Robert De Niro prendra la parole lors d’une rencontre exceptionnelle avec le public. À l’occasion de cette 78e édition, le Festival de Cannes lui rend hommage en lui remettant une Palme d’or d’honneur lors de la soirée d’ouverture, soulignant ainsi la portée historique de son œuvre.
Robert De Niro, c’est une carrière qui épouse tous les soubresauts de l’histoire du cinéma américain contemporain. Son regard tantôt impassible, tantôt incandescent, ses silences habités et ses explosions de violence contrôlée ont marqué à jamais l’imaginaire collectif. Il est Travis Bickle, il est Jake LaMotta, il est Vito Corleone, mais il est aussi ce témoin inlassable des mutations de l’Amérique : le crime organisé y devient une institution parallèle, la guerre du Vietnam un cauchemar collectif, la télévision et le spectacle des instruments de manipulation de masse.
Plus rare désormais dans ses interventions publiques, l’acteur, aussi réalisateur, producteur et militant, accepte à Cannes de s’adresser directement aux spectateurs, sans filtre ni artifice. L’émotion promet d’être à son comble, tant cette parole est précieuse. Ce sera aussi l’occasion d’interroger la trajectoire d’un artiste entier, qui a su conserver sa liberté et son exigence tout au long de sa carrière, dans un paysage cinématographique en perpétuelle mutation.
Une leçon de musique avec Alexandre Desplat et Guillermo del Toro : dans l’intimité du son et de l’image
Le troisième rendez-vous aura lieu le dimanche 18 mai à 14h00, dans l’écrin feutré de la Salle Buñuel. Une leçon de musique unique en son genre réunira le compositeur Alexandre Desplat et le cinéaste Guillermo del Toro, pour une conversation animée par Stéphane Lerouge, en partenariat avec la Sacem.
Dans le tumulte du Festival, cet échange promet un moment suspendu, une plongée au cœur du processus créatif de deux artistes qui partagent une complicité rare et un imaginaire commun. Ensemble, ils reviendront sur les liens profonds entre musique et narration, sur la manière dont une partition peut devenir personnage, paysage, souffle ou mémoire.
De The Shape of Water (2017), où la musique devait incarner la fluidité de l’eau, à Pinocchio (2022), inspiré du bois et de la fragilité artisanale, jusqu’au très attendu Frankenstein, prévu pour l’automne 2025, la collaboration entre Desplat et del Toro explore sans relâche les pouvoirs évocateurs du son. Comment rendre une créature monstrueuse bouleversante ? Comment traduire l’indicible, l’invisible, en motifs musicaux ?
Cette leçon ira bien au-delà du simple commentaire de bandes originales : elle montrera comment, dans le cinéma de Guillermo del Toro, la musique devient un vecteur d’humanité, un révélateur de la beauté là où l’on attendrait la peur. Elle rappellera aussi qu’Alexandre Desplat, doublement oscarisé, est un compositeur au sommet de son art, capable d’embrasser des univers esthétiques très divers, de Wes Anderson à Jacques Audiard.
Cette année encore, sa présence est particulièrement forte à Cannes : il signe la musique de deux films en compétition officielle, The Phoenician Scheme de Wes Anderson, et Les Aigles de la République de Tarik Saleh. Deux partitions qui promettent d’être au cœur des discussions et des écoutes attentives.
Un espace rare de transmission et de passion
Avec ces trois rencontres, le Festival de Cannes 2025 confirme une nouvelle fois sa volonté de faire du cinéma non seulement un spectacle, mais un art vivant, fait de gestes, de voix, de regards échangés. Les Rendez-vous du Festival, loin du clinquant des projections de gala, permettent de faire exister cette dimension essentielle : celle de la parole des artistes, offerte au public dans un geste de générosité et de partage.
Dans un monde où l’immédiateté des images et la saturation médiatique tendent à réduire les discours à l’essentiel, ces moments de conversation résonnent comme des îlots de réflexion. Ici, on prend le temps d’écouter, de comprendre, de ressentir.
Et c’est aussi cela, Cannes : une fête du cinéma dans toutes ses dimensions, y compris la plus humble et la plus profonde — celle de ceux qui le font, et qui en parlent.
Neïla Driss