Il fut un temps où la dignité et le sens des responsabilités accompagnaient les fonctions publiques. Mais ça, c’était avant. Avant que les représentants du peuple ne fondent en larmes en direct, le nez morveux et les joues inondées, en geignant sur leur sort.
Du théâtre politique
Hosni Morai, élu du conseil local de Tunis, nous a offert une scène mémorable. Un festival lacrymal où l’on entendait presque les violons jouer en fond sonore. Tout y était : la voix tremblante, les pauses dramatiques, la complainte d’un homme traqué par des « complots », des « conspirateurs anonymes » et des « pages Facebook inféodées ». Un grand moment de théâtre politique, où la victimisation atteint son sommet.
Mais à ce stade, une question s’impose. Si lui, l’élu, s’effondre ainsi, que doit faire le citoyen lambda face aux catastrophes et au chaos provoqués par l’amateurisme de ceux qui gouvernent ? Doit-on s’arracher les cheveux ? Se rouler par terre de désespoir ? Se pendre peut-être, en réaction au spectacle offert ? Car pendant que Morai sanglote sur son sort, le pays, lui, tangue, et ses habitants ne reçoivent ni mouchoirs ni consolation.
Un président qui s’impatiente
Et puis, il ose nous dire que le président Kaïs Saïed ne peut plus patienter. Vraiment ? Celui qui concentre quasiment tous les pouvoirs depuis des années, qui a dissous, écarté, limogé et écrasé toute opposition, serait donc une pauvre victime au même titre que ses administrés ? Il faudrait pleurer avec lui, sans doute, en oubliant que c’est bien ce pouvoir qu’il défend qui a mené la Tunisie dans ce bourbier.
L’hypocrisie du régime atteint ici des sommets. Ce pouvoir qui s’est arrogé tous les leviers de décision, qui a promis la grandeur et livré la ruine, qui a détruit les contre-pouvoirs sous tous les prétextes possibles et s’est retrouvé seul à bord d’un navire à la dérive, ce pouvoir-là vient maintenant nous jouer la carte de la détresse ? Il faudrait pleurer sur le sort d’un président qui, seul maître à bord, s’indigne que le bateau prenne l’eau ? Qui veut-on berner ici ?
Les Tunisiens n’ont pas besoin de dirigeants geignards et pleurnichards. Ils ont besoin de dirigeants compétents, de décisions lucides, d’une vision claire. Mais au lieu de cela, on leur sert du spectacle, du pathos bon marché, de la comédie dramatique indigne d’une république.
Des citoyens qui encaissent, mais jusqu’à quand ?
Et pendant que Morai s’épanche sur les prétendus complots et menaces, le peuple, lui, encaisse la vraie violence. Une économie exsangue, une inflation galopante, des pénuries à répétition, une jeunesse qui ne rêve que d’exil… Où sont les larmes des gouvernants pour ces souffrances réelles ? Où est l’émotion face aux tragédies qui frappent quotidiennement les citoyens ? Il n’y en a pas. Parce que dans leur monde, les seules douleurs qui comptent sont celles du pouvoir et de comment y rester.
À croire que ces gens nous prennent pour des imbéciles. Et pire, qu’ils pensent que leur misérable numéro de pleurnicheurs suffira à nous distraire des vrais problèmes. Mais qu’ils se rassurent, beaucoup de gens commencent à ne plus pleurer, mais à rire. Un rire jaune, un rire amer, un rire hargneux. Un rire qui, un jour, finira peut-être par tout balayer.