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une économie à l’arrêt et un projet d’amnistie controversé

In Tunisie
février 17, 2025

Nouvelle loi sur les chèques : une économie à l’arrêt et un projet d’amnistie controversé

 

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques en Tunisie, il y a quinze jours, l’économie est pratiquement paralysée. Malgré cette situation critique, des députés ont soumis un projet de loi visant à amnistier les prisonniers condamnés pour émission de chèques sans provision.

 

Dans les pays développés, émettre un chèque sans provision est assimilé à une escroquerie. La Tunisie, qui sanctionnait auparavant cette infraction par cinq ans de prison, a adopté en août 2024 une nouvelle législation assouplissant les peines et réformant le système des chèques. Depuis son application début février 2025, le marché tourne au ralenti.

Les banques ont dû se conformer à cette loi en introduisant de nouveaux formats de chèques jugés complexes. Conséquence : les transactions ont chuté, impactant divers secteurs.

 

Un effondrement du commerce et du tourisme

Le secteur de l’ameublement est l’un des plus touchés. Un géant du meuble ayant exposé au Salon du Kram (30 janvier – 9 février 2025) témoigne : « À cause de la nouvelle loi sur les chèques, plus personne ne pouvait acheter nos meubles. L’essentiel de nos ventes se fait à crédit et l’essentiel de nos clients sont des jeunes couples qui préparent leur mariage. Ces derniers n’ont d’autre choix que d’acheter par facilités, c’est-à-dire par l’émission de chèques antédatés. Cette option n’est désormais plus possible, puisque rares sont les personnes qui ont du cash et peuvent se permettre l’achat au comptant. »

Même son de cloche dans le tourisme. Le président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV), Ahmed Bettaieb, a indiqué que la nouvelle législation sur les chèques avait eu un impact négatif sur le secteur.

Invité le 11 février 2025 à Studio Wataniya de Zina Zidi sur la Radio nationale, Ahmed Bettaieb a affirmé que le secteur touristique traversait une crise due à plusieurs facteurs, dont l’entrée en vigueur de cette législation sur les chèques. Celle-ci a complexifié les opérations financières. « Il y a plusieurs obstacles, notamment au niveau des moyens de paiement… Le chèque, à travers la pratique, facilitait le paiement… Ceci a été supprimé il y a de cela trois semaines, mais, sans mettre en place une alternative… Il y a les cartes de paiement échelonné… Néanmoins, celles-ci réduisent considérablement les bénéfices des agences de voyages… La traite n’a pas encore pu remplacer le chèque », a-t-il expliqué.

Alors que la période des soldes s’étale du 15 janvier à la fin février, force est de constater la désertion dans les grands centres commerciaux de la capitale. D’habitude, on assiste à de vrais afflux et même des bousculades autour de certaines enseignes. « Cela est dû aux chèques, c’est vrai, mais également au mauvais timing. Dans quinze jours, il y a le ramadan qui arrive et qui sera suivi de l’Aïd. Les gens temporisent donc leurs achats », précise le directeur d’une enseigne turque très prisée.

 

Des chiffres inquiétants

L’analyste et chef d’entreprise Ghazi Moalla livre des données révélatrices sur les premiers jours d’application de la loi. « Entre le 2 et le 12 février, l’application TuniChèque a été téléchargée 93 000 fois et a traité 10 000 chèques, soit 1 000 par jour. Avant, nous en traitions 80 000 quotidiennement ! »

Le problème majeur réside dans la lourdeur du processus : « Faire valider un chèque via TuniChèque prend cinq minutes, sous réserve de connexion réseau. Impossible de remettre un chèque à un tiers pour paiement. Pire encore, certaines institutions publiques comme la Steg refusent d’accepter ces nouveaux chèques, faute d’équipement adapté. »

 

Une amnistie pour les escrocs ?

En dépit du marasme économique, une quarantaine de députés souhaitent introduire une loi d’amnistie pour les prisonniers condamnés pour chèques sans provision. Business News a consulté le texte, qui prévoit une amnistie pour les chèques inférieurs à 5 000 dinars ayant fait l’objet d’une attestation de non-paiement avant février 2025.

Ce projet soulève l’indignation. Jusqu’ici, la justice tunisienne s’était montrée conciliante : un débiteur avait jusqu’à 24 mois pour rembourser avant d’être condamné à de la prison ferme. Cette amnistie permettrait de libérer ceux qui, même après deux ans, n’ont pas honoré leurs engagements.

 

Une double peine pour l’économie et les victimes

Au-delà de la paralysie économique, cette proposition bafoue les droits des créanciers. « Un chèque est censé garantir l’existence de fonds. Ne pas payer son dû est une escroquerie », rappellent les analystes.

Imposée par le président de la République, la réforme des chèques a déjà plongé l’économie dans l’incertitude. Désormais, les députés veulent aller plus loin en libérant ceux qui ont failli à leurs engagements, sans garantir le remboursement des victimes. Une décision qui risque d’aggraver encore davantage la crise.

 

Maya Bouallégui