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En Allemagne, l’industrie décline, le déclassement menace

- Business
février 21, 2025

En septembre 2023, tout semblait encore à sa place dans le petit monde d’Anna Rank. Au bureau, l’ambiance était même à la fête : Rodenstock [fabricant allemand de verres de lunettes] se donnait du bon temps, avec un bar à bières et des musiciens. L’usine de Regen, petite bourgade de 11 000 âmes nichée au cœur de la forêt bavaroise, non loin de la frontière tchèque, venait de fêter ses 125 ans. L’usine était le “cœur battant” de l’entreprise, s’enflammait un des membres du conseil d’administration.

Pour Anna Rank, Rodenstock, c’est avant tout une des pierres angulaires de son bonheur personnel. Depuis cinq ans maintenant, elle contrôle des verres de lunettes fabriqués sur mesure, trois jours par semaine, de 6 heures du matin à 13 h 45. Son époux travaille lui aussi chez Rodenstock, mais dans l’équipe du soir, ce qui a son importance, car les Rank ont un fils de 4 ans. “Mon mari amène le petit le matin à l’école et va l’y chercher à midi, explique-t-elle. L’après-midi, c’est moi qui le récupère, et mon mari part à l’usine.”

C’est la seule solution à la campagne, la maternelle fermant ses portes à 13 heures. Les après-midi où Anna est en formation, Rodenstock adapte les horaires de son mari. “Ils ont une véritable politique en faveur de la famille, ici”, se réjouit Anna, 36 ans. Sans parler de la paie. Anna est vendeuse en boulangerie de formation. “Chez Rodenstock, je gagne bien plus qu’à la boulangerie”, affirme-t-elle.

Leur petit monde s’est écroulé le 5 septembre 2024. Un an à peine après les réjouissances de l’entreprise, Rodenstock annonçait la suppression de la ligne de production de Regen et de quelque 230 emplois, soit près de la moitié des effectifs, invoquant notamment la perte d’un gros client. Seuls la recherche-développement et le service après-vente étaient maintenus.

“On va se dépatouiller”

“J’étais abasourdie”, confesse Anna. La peur bien particulière qui la saisit alors, c’est celle du déclassement, de ne pas pouvoir garder son niveau de vie. “On ne trouvera plus d’emplois qui s’accordent aussi bien, ni qui paient aussi bien.” Comment finir de rembourser la maison mitoyenne qu’ils ont achetée et comment garder deux voitures, là où aucun bus ne passe ? “On va se dépatouiller, mais je ne veux pas que tout change et qu’on soit obligés de se serrer la ceinture.”

Ce que vivent les Rank, des milliers d’Allemands en font l’expérience d’un bout à l’autre du pays. Ce sont désormais près de 9 000 emplois qui disparaissent en moyenne chaque mois dans l’industrie allemande. La crise en question a débuté dès 2018, bien avant la pandémie et la guerre en Ukraine. À l’époque déjà, la production commençait à marquer le pas.

Volkswagen, Bosch, BASF, Bayer… Les grands groupes industriels font les gros titres avec des projets de coupes claires – et ce n’est là que la partie visible d’une crise bien plus profonde. Les rabotages sont opérés dans l’ombre, à petite échelle, à la campagne, là où les usines font vivre des villages entiers depuis des générations, comme Rodenstock à Regen. Pour limiter la casse, le gouvernement a décidé, à la fin du mois de décembre, d’allonger la durée d’indemnisation du chômage partiel. Quand l’activité tourne au ralenti, les salariés peuvent désormais être indemnisés pendant vingt-quatre mois – et non plus douze comme c’était le cas jusqu’à maintenant.

Les salariés, les entreprises et les Länder luttent contre un nouveau péril, celui de la relégation. Dans la