Le monde se divise de plus en plus en deux hémisphères qui s’affrontent férocement dans l’espace public sur des questions comme celles-ci : le policier qui a tué Odair Moniz [un Capverdien de 43 ans, le 21 octobre dernier, dans un quartier populaire de Lisbonne] a-t-il agi par pulsion raciste ou en état de légitime défense face à un “voyou” [tel que l’ont présenté des représentants du parti d’extrême droite Chega, dont son président, André Ventura] ?
Les policiers qui tirent pour tuer doivent-ils être décorés ou défendre publiquement cette position représente-t-il un crime ? Ceux qui incendient des bus dans la rue sont-ils des victimes de l’oppression ou des “terroristes urbains” ? Les cours d’éducation civique sont-ils liés à des “projets idéologiques” ou permettent-ils d’enseigner la tolérance face à la différence ? La famille traditionnelle est-elle tout près de la destruction ou la famille prend-elle des formes de plus en plus variées ? L’immigration est-elle “incontrôlée” ou l’accueil des étrangers est-il positif et nécessaire ? Le colonialisme portugais – qui a donné tant de “mondes au monde” – a-t-il été aussi positif qu’on l’a soutenu ou peut-on dire que les peuples colonisés ont droit à des réparations sans se faire accuser de trahir le peuple portugais ?
Ces derniers mois, chacun de ces thèmes a provoqué un affrontement entre les visions conservatrices et progressistes de la société, les positions des uns et des autres se sont radicalisées et le centre a migré vers les extrêmes dans la centrifugeuse du populisme. Bien qu’il ne soit pas toujours seul, Chega – par la voix d’André Ventura (qui suit le modèle de Trump, de Bolsonaro ou d’Orban) – occupe en permanence une extrémité du champ politique, engendrant adhésion ou rejet.
Toute cette agitation a commencé avec deux polémiques : la première est née à la suite des déclarations de Luis Montenegro [Premier ministre et président du Parti social-démocrate (PSD, centre droit)], qui a évoqué une contamination idéologique des contenus sexuels de l’éducation civique lors du congrès du parti [le 21 octobre] ; la seconde a été causée par la tragédie d’Odair Moniz. Ces deux débats accentuent le développement de ce que l’on appelle les guerres culturelles au Portugal, à l’instar de celles qui sont en train de diviser profondément les autres sociétés occidentales et qui radicalisent la vie politique quotidienne.
“Une intensité plus faible qu’aux États-Unis”
Cet affrontement repose sur une montée du populisme en réaction au progressisme et au politiquement correct des élites – et à un certain wokisme d’une minorité urbaine. D’après João Ferreira Dias, chercheur à l’ISCTE [Institut supérieur des sciences du travail et de l’entreprise] qui termine sa thèse de doctorat sur les guerres culturelles au Portugal et les droits fondamentaux, il y a “sans aucun doute” des batailles pour occuper la scène rhétorique, mais elles sont d’“une intensité plus faible qu’aux États-Unis ou au Brésil”.
Filipe Carreira da Silva, qui enseigne à l’Institut des sciences sociales (ICS) et à Cambridge, est du même avis : “Ce n’est pas comparable au degré de violence et de conflictualité qu’on voit au Royaume-Uni, en France ou aux États-Unis.” Cependant, cela s’est accentué au cours des dix dernières années :
“La progression de Chega aux élections a influé sur la manière dont la société aborde ces questions. Nous ne sommes pas plus racistes et la violence n’augmente pas, mais les gens réagissent plus qu’il y a dix ans.”
“À la base de tout ça”, on trouve le “ressentiment”, déclare João Ferreira Dias. D’un côté, celui de “groupes historiques minoritaires, qui ont été contraints et opprimés”, à savoir les femmes, les homosexuels, les personnes racialisées ou les peuples colonisés. De l’autre, il y a “le mécontentement qui naît quand on perçoit l’identité de la majorité comme remise en question, ajoute-t-il. Quand quelqu’un soutient que notre colonialisme n’a pas été bienfaisant, il peut y avoir deux types de réactions : soit on l’entend parce qu’on est dans le cadre d’une démocratie libérale, soit on hurle a