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14-Janvier, l’Histoire se répète toujours

- Tunisie
janvier 14, 2025

 

Demain, nous devions célébrer le 14e anniversaire du 14-Janvier. Par la volonté unique du président de la République, nous ne célébrerons rien. Il a décidé que la fête de la révolution soit célébrée le 17 décembre, date à laquelle un vendeur ambulant exerçant dans l’illégalité a décidé de s’immoler par le feu pour protester contre la loi. La date de la fuite d’un président en exercice n’est pas assez significative, aux yeux du chef de l’État.

Pourtant, et quoiqu’il pense, le tournant majeur de la Tunisie a bel et bien eu lieu à cette date du 14 janvier 2011. C’est à partir de ce jour que l’on a commencé à penser à une nouvelle Tunisie, à une nouvelle république et à parler de libertés et de démocratie.

Que reste-t-il de tous ces slogans ? Comment a-t-on fait pour que l’on jette par terre les meilleurs projets progressistes du pays ?

 

L’ère de la troïka : l’espoir déçu

Surfant sur la crédulité des gens, appuyés par de l’argent coulant à flot venant des États-Unis, du Qatar et de la Turquie, les islamistes ont conquis le pouvoir suite aux élections régulières de 2011 et l’ont partagé avec le CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar.

Les Tunisiens pensaient, naïvement, que cette troïka allait les sortir de leur misère et gouverner le pays selon les standards islamiques.

Au lieu de cela, les islamistes ont ajouté à la misère économique de la misère intellectuelle. Plutôt que de parler de progrès, de numérisation et de croissance, on parlait de charia, de niqab et de salafistes. Ces derniers étaient même reçus au palais de Carthage. Après avoir dépouillé les caisses de l’État pour servir les leurs, islamistes et CPR ont fait plonger le pays dans un endettement abyssal, ne résolvant rien de ces vieux problèmes. Pire, on est tombés dans le terrorisme et les assassinats politiques. La déception fut totale pour leurs électeurs. Il fallait une revanche.

 

L’échec des laïcs de Nidaa Tounes

Elle arrive en 2014 avec la victoire des laïcs de Nidaa Tounes, appuyés par de l’argent émirati. Les électeurs pensaient naïvement que ces progressistes déclarés allaient tourner le dos à la période troïka et engager le pays dans les réformes nécessaires pour le transformer en Suisse de l’Afrique.

Au lieu de cela, ils ont bécoté avec les islamistes et ajouté à la misère économique et intellectuelle, le népotisme et l’affairisme. La Tunisie a été épinglée par le GAFI, le dinar a chuté drastiquement (ce qui a créé une inflation sans précédent dans les produits importés), et l’endettement s’est encore aggravé. Le terrorisme n’a pas cessé, il s’est accentué et on arrivait même à en exporter en France (Nice) et en Syrie.

Plutôt que de batailler pour sauver la Tunisie, les dits progressistes se chamaillaient entre eux pour conquérir le pouvoir. Cela va du propre fils du président de la République au chef du gouvernement en passant par une ribambelle de ministres et même le patron d’une chaîne télévisée inféodée à un des clans du pouvoir de l’époque. La déception fut totale pour leurs électeurs. Il fallait une revanche.

 

La désillusion Kaïs Saïed : un retour au Moyen-Âge

Elle arrive en 2019 avec la victoire de Kaïs Saïed, appuyé par la population et un capucin. Les Tunisiens pensaient naïvement qu’un président qui leur ressemble allait gouverner en toute intégrité et débarrasser le pays de tous ceux qui l’ont dépouillé et trahi.

Au lieu de cela, le président populiste s’est assis sur la Constitution, a rédigé la sienne tout seul dans son coin et l’a imposée à tout le pays. Il a piétiné la justice et l’État de droit, a jeté tous ses adversaires et critiques en prison et a monnayé leur liberté et leur quiétude auprès des hommes d’affaires et investisseurs.

Sous sa gouverne, la croissance est de zéro, l’inflation atteint les deux chiffres pour plusieurs produits de première nécessité, et on enregistre des pénuries dans tous les domaines : des médicaments aux bonbonnes de gaz en plein hiver, en passant par le pain, le riz, le sucre et le café. L’endettement s’est accentué et la Tunisie s’est retrouvée déclassée à plusieurs reprises par les agences de notation internationale. Diplomatiquement, l’image de la Tunisie est des plus désastreuses depuis l’indépendance.

 

Une revanche inéluctable

Les nostalgiques de l’ancien régime voulaient que Kaïs Saïed remette le pays à l’avant 14-Janvier. Ils ne veulent ni de progressisme, ni de démocratie, ni de libertés. Le président putschiste a fait mieux : il a fait replonger le pays au Moyen-Âge avec son style anachronique et ses références historiques permanentes. La déception est perceptible partout, et il faudra une revanche.

On n’en est pas encore là, mais cette revanche arrivera inéluctablement, car elle arrive toujours. C’est une constante de l’Histoire, aussi bien en Tunisie qu’ailleurs. Il y a toujours eu une revanche contre les gouvernants médiocres et il y en aura toujours. Le 14-Janvier de demain ne peut que nous rappeler cela et, au cas où on l’aurait oublié, les événements récents en Syrie sont là pour rafraîchir nos mémoires.

 

Le cycle des désillusions historiques

En 1957, Habib Bourguiba a réglé leurs comptes au bey et à ses inféodés. Ils sont morts humiliés. En 1987, Ben Ali a mis Bourguiba au placard. Il est mort tout seul. En 2011, Ben Ali a été poussé vers l’exil. Il est mort et enterré loin de son pays.

En jetant ses prédécesseurs en prison ou en les poussant vers l’exil, le régime de Kaïs Saïed ne fait que perpétuer une si longue tradition universelle : celle de la revanche des nouveaux gouvernants contre les anciens et des populations contre les gouvernants. Le roi est mort, vive le roi, la vie continue.

Inévitablement, ce régime connaîtra le même sort que ses prédécesseurs. Il ne peut pas y échapper. Personne n’a échappé avant lui et personne n’échappera après lui. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’Histoire.

 

Une série de dates qui se succèdent

Le 14-Janvier est pour demain, mais tous les rêves de démocratie et de libertés qu’évoque cette date ont disparu. La faute à qui ? Au peuple, diront certains. Sauf que ce n’est pas vrai.

En 2011, le peuple a donné leur chance aux islamistes et il a été déçu. En 2014, il a donné leur chance aux progressistes et il a été déçu. En 2019, il a donné sa chance au populiste et la déception est en cours. Que peut-on encore demander au peuple ? Il a été déçu par la démocratie et les libertés, il a été déçu par les islamistes, les progressistes et les populistes. Les islamistes n’ont pas défendu l’islam, les progressistes n’ont pas défendu le progrès, les démocrates n’ont pas défendu la démocratie, et le populiste n’est pas en train de défendre le peuple.

Bien avant l’époque actuelle, le peuple a été déçu par les Français qui allaient lui apporter la lumière, par Bourguiba qui allait enlever les poux de la tête, et par Ben Ali qui allait ramener le renouveau et l’ère nouvelle. Toute l’Histoire des Tunisiens est parsemée de déceptions de leurs gouvernants.

Le 14-Janvier n’est qu’une date parmi d’autres finalement. Il y a eu le 12 mai 1881, le 20 mars 1956, le 7 novembre 1987, le 14 janvier 2011 et le 25 juillet 2021. Une date a toujours chassé l’autre. C’est une certitude : bientôt, une autre date viendra chasser la dernière en date.