“Le pari était risqué et il a mal tourné”, résume El País. Même analyse ou presque du New York Times : “l’homme favori pour le poste de chancelier a tenté un pari extraordinaire cette semaine […] Ça ne s’est pas passé comme il l’espérait”. Vendredi, le démocrate-chrétien Friedrich Merz s’est appuyé sur l’AfD, parti d’extrême droite, pour faire passer une proposition de loi sur l’immigration, une première depuis la deuxième guerre mondiale en Allemagne. La proposition a été rejetée par 349 voix contre (328 voix pour).
Le Temps évoque une semaine de débats parlementaires “chaotiques, pesants et lourds de conséquences” avec le vote à trois semaines des élections législatives sur un texte proposant de renforcer les pouvoirs de la police et de suspendre le regroupement familial, à la suite de plusieurs attentats menés dans le pays par des immigrés. “Le chef de la CDU et potentiel futur chancelier, Friedrich Merz, a bel et bien changé le cours de la campagne électorale. Avec sa stratégie jusqu’au-boutiste, il a imposé l’immigration comme sujet central, à la plus grande joie de l’extrême droite”, observe le quotidien francophone du voisin suisse.
“Le conservateur a tenté de projeter l’image d’un leader capable de répondre à l’inquiétude d’une partie de la population face aux attaques et aux crimes perpétrés par des étrangers. Mais il a également offert l’image d’un leader incohérent, car en novembre, il a juré qu’il n’accepterait pas les votes de l’AfD”, rappelle El País.
Sa décision de briser un tabou politique, alors que la CDU est nettement en tête des sondages pour l’élection du 23 février, lui a valu les critiques de l’opposition mais aussi de l’ancienne chancelière Angela Merkel, issue du même parti, ou de l’Église. “Le résultat est à peu près tout ce que M. Merz aurait voulu éviter : la loi n’a pas changé, ses adversaires, à gauche comme à l’extrême droite, sortent renforcés et les doutes naissent sur sa capacité à être chancelier”, estime le Times.
“L’AfD fait la fête”
Friedrich Merz n’est pas été épargné non plus par la presse de son pays. “Ce devait être son triomphe”, souligne Bild, mais son combat est devenu “un voyage d’horreur politique”. Sous une photo de lui, seul et assis dans le Bundestag, Die Zeit titre “crashé” et ajoute “Pas encore chancelier et déjà dans l’histoire”.
La Süddeutsche Zeitung revient sur un “jour tout sauf normal au parlement allemand”, marqué notamment par une interruption de séance de trois heures et des négociations tous azimuts impliquant la CDU, les sociaux-démocrates du SPD, les libéraux du FDP et les Verts. “Le virage en matière d’asile de Friedrich Merz (CDU) a échoué pour l’instant”, conclut Die Welt. “Peu avant 18 heures, Friedrich Merz s’est présenté devant la presse, et même si son visage brillait de sueur, le chef de la CDU semblait étrangement exalté, presque soulagé”, satisfait d’avoir essayé, relève Die Zeit.
Pour Handelsblatt, “le candidat à la chancellerie s’est fait du mal pour rien” et a “probablement sous-estimé l’effet que l’apparence d’une coopération avec l’AfD a laissé sur les autres partis au Bundestag et sur une partie de la population. Quand cela est devenu clair, il était apparemment déjà trop tard. Le candidat à la chancellerie ne voulait plus faire marche arrière”.
Sans cette proposition de loi adoptée et avec une CDU mise en difficulté par sa stratégie, la ZDF se demande “si cela en valait la peine”. Une tribune dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung répond oui parce qu’“une majorité de la population veut limiter l’immigration. Merz a essayé de tenir compte de cette humeur au Bundestag. Mais le SPD et les Verts ont continué à miser sur le refus”. Der Spiegel met plutôt en cause l’ensemble des formations républicaines et déplore “un maximum de dégâts pour la démocratie”.
Dans la situation actuelle, constate l’hebdomadaire, “l’AfD fait la fête” puisque les partis traditionnels n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un sujet comme l’immigration illégale. “On aurait ainsi retiré à l’AfD l’argument selon lequel ce n’est qu’avec elle qu’il y aura un changement dans la politique migratoire. Mais la CDU, le SPD, les Verts et le FDP n’étaient manifestement pas à la hauteur du défi”, se lamente Der Spiegel.
“Il semble qu’ils ne réalisent pas la gravité de la situation dans laquelle se trouve le pays. La rhétorique démesurée du chef du groupe parlementaire SPD Rolf Mützenich a contribué au triomphe des contempteurs de la démocratie, tout comme l’attitude de blocage des Verts. Mais la plus grande partie de la responsabilité incombe au candidat à la chancellerie, Friedrich Merz”, poursuit le magazine. “Il a contribué à la normalisation de l’AfD. C’est une faute qui marquera pour longtemps les démocrates-chrétiens”.