Le même jour que l’annonce de la suspension du tiers payant par les pharmaciens, le chef de l’État a convoqué le ministre des Affaires sociales pour évoquer la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Derrière le ton institutionnel, un signal politique adressé à tout un système social en perte d’équilibre.
Lundi 27 octobre 2025, Kaïs Saïed a reçu au palais de Carthage le ministre des Affaires sociales, Issam Chebbi. Selon le communiqué de la présidence, la réunion a porté sur les fonds sociaux, en particulier sur la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Le chef de l’État y a réitéré la nécessité de rétablir l’équilibre de ces caisses, en élaborant une législation adaptée à leurs missions.
« Les fonds doivent retrouver leur équilibre et atteindre les objectifs pour lesquels ils ont été créés », souligne le texte.
CNAM – pharmaciens : La rupture
Ce message intervient alors que le Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (SPOT) a annoncé, le même jour, la suspension du tiers payant pour les maladies ordinaires.
Les pharmaciens dénoncent des retards de paiement de plusieurs mois et une CNAM incapable de respecter les termes de la convention en vigueur.
« Nous avons tenu jusqu’au bout, mais la CNAM a laissé tomber les malades », a déclaré Molka Moudir, présidente du syndicat.
Ce n’est pas la première fois que la CNAM traverse une telle zone de turbulence. Des tensions similaires avaient déjà éclaté en 2019, 2021 et 2023, à chaque fois autour des mêmes difficultés : retards de remboursement, déficit croissant et désaccords sur les conventions. Ces épisodes récurrents ont progressivement entamé la confiance entre la caisse et ses partenaires, nourrissant l’idée d’un système à bout de souffle.
Un avertissement présidentiel
La mention explicite de la CNAM dans le communiqué de Carthage n’est pas fortuite. En appelant à “rétablir l’équilibre des caisses sociales” et à “faire appliquer la loi”, Kaïs Saïed vise directement la caisse d’assurance maladie, mais aussi l’ensemble du dispositif social tunisien.
Le président entend rappeler que ces institutions, souvent gérées avec lenteur et opacité, doivent revenir à leur mission première : garantir la solidarité et la justice sociale.
L’avertissement dépasse donc le seul conflit entre la CNAM et les pharmaciens. Il s’inscrit dans une séquence politique plus large, amorcée depuis plusieurs mois : celle de la réforme du financement des caisses sociales.
Le projet de loi de finances 2026 prévoit de nouvelles taxes et contributions destinées à renforcer la CNAM, la CNSS et la CNRPS.
En mai déjà, le président évoquait la création d’un « nouveau modèle de financement » pour assurer leur pérennité.
Autrement dit, le Palais de Carthage ne parle pas d’un incident : il met en scène le début d’un redressement annoncé.
Un modèle social à la dérive
La CNAM n’est plus un simple organisme payeur.
Elle cristallise les contradictions d’un modèle social qui promet la couverture pour tous, mais ne parvient plus à la financer.
Cotisations insuffisantes, retards de transferts, dettes croisées entre institutions : le système craque de toutes parts.
Chaque nouvelle crise – pharmaciens, hôpitaux, prestataires – en révèle un pan supplémentaire.
En plaçant la CNAM au cœur de son discours, Kaïs Saïed cherche à rétablir l’autorité de l’État sur un champ miné par la défiance.
Mais sans réforme structurelle et sans ressources nouvelles, le volontarisme présidentiel risque de se heurter au mur budgétaire.
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