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Pays-Bas : le centriste Rob Jetten crée la surprise face à l’extrême droite de Geert Wilders

Pays-Bas : le centriste Rob Jetten crée la surprise face à l’extrême droite de Geert Wilders


La surprise vient autant du messager que du message. Il y a encore un mois, nul n’attendait Rob Jetten, l’homme qui a créé la surprise lors des législatives néerlandaises de ce mercredi 29 octobre en menant une campagne positive, pro-européenne, proposant des solutions concrètes, sans tapage. Son parti, le D66 (Démocrates 66), d’inspiration sociale-libérale, a bénéficié d’une percée dans les tout derniers jours de la campagne. Au premier sondage sorti des urnes à 21 heures, D66 vire en tête avec 27 sièges, devant le populiste Geert Wilders (PVV), qui perdrait 12 sièges à la Chambre basse (25 sièges). Après le dépouillement de 97,7 % des bulletins, les projections ont réajusté les scores d’une unité : 26 sièges pour Jetten et autant pour Geert Wilders (en recul de 11 sièges). « Nous avions espéré un autre résultat. Nous sommes plus déterminés que jamais », a réagi Wilders sur X. Les résultats définitifs seront connus vendredi.

Les libéraux du VVD, emmenés par Dilan Yesilgöz-Zegerius, se maintiennent avec 23 sièges. En revanche, c’est une défaite pour les travaillistes de Frans Timmermans (PvdA-GL), qui terminent la course en quatrième position (20 sièges, en recul de 5 sièges) alors qu’ils espéraient, il y a encore quelques jours, finir deuxièmes ou battre Wilders. Timmermans a annoncé sa démission immédiate au cours de la soirée électorale. Les chrétiens-démocrates du CDA reviennent de loin avec 19 sièges (14 sièges de plus) après la quasi-disparition du parti dissident, le NSC.

À LIRE AUSSI Pays-Bas : le « tout ou rien » de Geert Wilders avant les législativesEn fait, le CDA était bien parti pour faire encore mieux, mais leur leader, Henri Bontenbal, a déclaré, en fin de campagne, qu’il n’interviendrait pas face aux écoles chrétiennes qui enseignent que les relations homosexuelles sont mauvaises, affirmant que la liberté d’enseignement garantie par l’article 23 de la Constitution néerlandaise devait être défendue même si elle entrait en conflit avec d’autres droits. Dans un pays aussi libéral que les Pays-Bas, la position de Bontenbal a détourné une partie des électeurs vers le D66, dont le chef de file est ouvertement homosexuel.

Le benjamin de la Tweede Kamer

Rob Retten avait 31 ans quand il devint le plus jeune chef de groupe jamais nommé à la Seconde Chambre, et il pourrait devenir, à 38 ans, le plus jeune Premier ministre des Pays-Bas. Deux coalitions sont possibles : l’une avec les partis de droite, l’autre avec les partis de gauche. Les tractations commenceront dans les prochains jours.

Le jeune homme cultive depuis toujours un style en contre-emploi des canons politiques néerlandais. Là où Geert Wilders martèle ses anathèmes souverainistes et où Frans Timmermans déploie sa stature européenne teintée de social-démocratie verdoyante, Rob Jetten avance à pas feutrés, sans tambour ni trompette. Ses proches parlent d’un « ingénieur politique », formé à l’administration publique, rodé à la mécanique des coalitions, architecte du compromis. Ses adversaires y voient une fadeur gestionnaire. « Il parle comme un dossier », raille-t-on souvent à son sujet.

Cette sobriété revendiquée, qui aurait pu le cantonner aux marges du spectacle électoral, devient paradoxalement son meilleur atout dans une campagne marquée par la fatigue des postures.

Un sportif qui voulait être restaurateur

Natif du Brabant-Septentrional, Rob Arnoldus Adrianus Jetten a grandi à Uden dans une famille d’ascendance indo-européenne mêlant héritages néerlandais et indonésien. Enfant, il rêvait de devenir athlète de haut niveau – un rêve qu’il a poursuivi jusqu’à intégrer la sélection nationale jeunesse néerlandaise en course à pied. « J’étais et je reste un coureur passionné », confie-t-il. D’ailleurs, c’est l’équipe de course Seven Hills Running Team qui l’a poussé à déménager d’Uden à Nimègue pour ses études. Autre passion précoce : la restauration, une histoire de famille. « Idéalement, je voulais avoir mon propre restaurant, sur une plage dans un pays chaud », se souvient celui qui bascule dans la politique au lendemain d’un drame national qui le touche de près.

La nuit du meurtre du cinéaste Theo van Gogh, le 2 novembre 2004, une école primaire turque a été incendiée, en représailles, dans la ville de son enfance. « Les coupables se sont avérés être des coéquipiers de mon équipe de football. Le reste du monde a présenté mon village comme un foyer de jeunes d’extrême droite, se souvient-il. Je me suis associé à quelques amis pour prouver que tout le monde avait tort en organisant diverses campagnes et en prenant la parole devant le conseil municipal, raconte-t-il sur sa page Web de la Chambre des députés. J’avais toujours été intéressé par la politique, mais c’était la première fois que je comprenais qu’il faut agir si on est en désaccord avec quelque chose. »

Un constat amer sur l’immobilisme des années Rutte

Après des études d’administration publique à l’université Radboud de Nimègue, il entame une carrière dans l’organisme public gérant le réseau ferroviaire néerlandais. Dès 2008, il devient président des Jeunes Démocrates, puis conseiller municipal à Nimègue de 2010 à 2017, avant son élection à la Tweede Kamer en 2018.

« Les Pays-Bas sont restés immobiles pendant quinze ans, constate-t-il sans fard dans un entretien à Dutch News le 3 octobre. Le gouvernement néerlandais n’a pas vraiment accompli de grandes choses impressionnantes ces dix à quinze dernières années » – un constat teinté d’autocritique puisque D66 ainsi que lui-même ont participé à plusieurs des gouvernements Rutte.

Un ministre au cœur des plus gros chantiers

Son portefeuille ministériel n’était pas des moindres : Climat et Énergie, au cœur de toutes les tensions – entre urgence écologique et anxiété sociale, entre ambition technologique et contraintes budgétaires. Il y a piloté le plus important paquet d’investissements climatiques jamais engagé aux Pays-Bas, lancé l’infrastructure nationale de l’hydrogène (le H2 Backbone, colonne vertébrale industrielle de demain, selon ses mots) et accéléré l’éolien offshore tout en modernisant les réseaux électriques.

La critique vient de deux flancs : les climatosceptiques dénoncent des coûts excessifs pour les ménages ; les ONG lui reprochent des dérogations industrielles trop accommodantes. Rob Jetten assume ce qu’il nomme le « pragmatisme à grande vitesse ». Cette ligne de crête, qui conjugue réalisme technique et volontarisme écologique, structure aujourd’hui toute sa campagne.

Construire dix villes, dont une sur la mer

Sur le logement, irritant majeur de la société néerlandaise, D66 propose une stratégie de choc : la création de dix nouvelles villes ( !), l’industrialisation de la construction, la densification le long des axes ferroviaires, la simplification drastique des procédures. « Ajouter une rue ici et là ne suffira pas », tranche-t-il dans le même entretien sur Dutch News. Mais où construire dix villes ? Au moins une ville – Ustad – serait construite en gagnant sur la mer et en récupérant ainsi des terres supplémentaires sur le Markermeer entre Amsterdam et Almere. Or, il s’agit d’une zone Natura 2000, en principe inconstructible… Ses adversaires pointent les dépenses excessives en dizaines de milliards d’euros d’un tel projet, jugé peu réaliste.

« Ce n’est pas juste un rêve chimérique de dix villes attractives et innovantes. C’est aussi toute la question de comment nous construisons aux Pays-Bas : comment nous utilisons les dernières techniques et plus de préfabriqué. Comment rendre cela inclusif climatiquement et écologiquement avec de bons transports publics et des écoles ? » répond Rob Jetten, qui souhaite, sans plus attendre, passer une loi d’urgence afin de construire 200 000 maisons à court terme.

Il vit avec un hockeyeur argentin

Sur la migration, le terrain de jeu de Geert Wilders, le chef de file des D66 refuse la surenchère tout en promettant fermeté et efficacité. « Le système d’asile actuel est en faillite », admet-il dans l’émission L’Heure des nouvelles, sur la chaîne NOS, le 16 octobre, avant d’étriller la politique du VVD : « Les personnes qui peuvent rester, le VVD ne leur permet pas d’apprendre le néerlandais ni de travailler. Ensuite, nous nous plaignons que ces personnes soient sur la touche. »

Dans un entretien à Dutch News le 1er octobre, il livre une analyse plus personnelle – son compagnon est le joueur de hockey argentin Nicolas Keenan. « Nous voulons, dit-il, que les nouveaux arrivants dans ce pays, qu’ils viennent pour étudier, demander l’asile, travailler ou par amour, comme dans mon propre cas, sachent où ils en sont afin qu’ils fassent de leur mieux pour s’intégrer et participer à la société néerlandaise. »

Ouvert sur l’intégration des migrants

Face au projet gouvernemental d’allonger le délai pour obtenir la nationalité néerlandaise de cinq à dix ans, Rob Jetten a des préventions. « Toutes ces nouvelles règles qui rendent les choses plus compliquées et difficiles qu’elles ne le sont déjà vont entraîner davantage de retards dans le système migratoire, mais elles ne donnent pas non plus aux gens le sentiment qu’ils sont les bienvenus ici et que nous voulons qu’ils fassent partie de notre société. Je pense donc que cela aura l’effet inverse. »

La percée de Rob Jetten s’explique par un faisceau de facteurs : effet de contraste avec la polarisation ambiante, réassurance de compétence après son passage au gouvernement, offre programmatique claire sur les dossiers structurants, et sans doute usure des figures historiques. Mais elle tient aussi à quelque chose de plus profond : le pari que la modernité politique, dans une démocratie fatiguée des postures, est d’abord affaire de sérieux et de méthode.

Le siège de D66 attaqué par des militants d’extrême droite

Le matin du scrutin, Rob Jetten résume sa proposition face aux caméras de Goedemorgen Nederland : « Un vote pour D66 est un vote pour un parti très ambitieux, avec le logement, le climat et l’éducation comme thèmes principaux. Nous sommes également capables de construire des ponts entre différents partis. »

Cette posture de « facilitateur démocratique » – ni à gauche ni à droite, mais au centre opérationnel – constitue à la fois sa force et sa vulnérabilité. Dans une campagne bousculée par le vandalisme et les esprits chauffés à blanc (le siège de D66 à La Haye a été la cible de groupes d’extrême droite début octobre), le chef de file de D66 incarne peut-être le cycle politique suivant : celui où l’ingénierie l’emporte sur les effets de manche, où l’apaisement est recherché plus que le fracas des tribuns.