Le projet de Loi de finances pour l’année 2026, actuellement examiné par l’Assemblée des représentants du peuple, contient une disposition financière majeure qui marque un tournant dans la politique budgétaire tunisienne. L’article clé du texte autorise la Banque centrale de Tunisie à octroyer des facilités exceptionnelles au Trésor public pour un montant total de 11 000 millions de dinars tunisiens.
Cette mesure se distingue par des conditions particulièrement avantageuses pour l’État. Le prêt accordé sera totalement exempt d’intérêts, contrairement aux emprunts contractés sur les marchés financiers internationaux qui imposent généralement des taux d’intérêt élevés. Le remboursement s’étalera sur une durée de 15 ans, avec une période de grâce de trois années durant laquelle aucun remboursement ne sera exigé.
Cette architecture financière vise à soulager la pression sur les finances publiques à court terme, offrant à l’État une marge de manœuvre budgétaire considérable pour financer ses dépenses prioritaires sans alourdir immédiatement la charge de la dette. Les trois années de grâce permettront au gouvernement de se concentrer sur la relance économique et les réformes structurelles avant d’entamer le remboursement progressif de cette facilité.
Prolongation de la Contribution de Solidarité Sociale jusqu’en 2027
Le PLF 2026 maintient une continuité fiscale importante en prolongeant la contribution exceptionnelle de solidarité sociale imposée aux entreprises. Les taux actuellement en vigueur de 3% et 4% seront maintenus jusqu’à la fin de l’année 2027, au lieu de prendre fin en 2025 comme initialement prévu.
Cette prolongation de deux années supplémentaires s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de consolidation des finances publiques tout en préservant les ressources nécessaires au financement des programmes sociaux. Les entreprises concernées par cette contribution devront intégrer cette extension dans leurs prévisions financières et leur planification budgétaire pour les exercices 2026 et 2027.
La reconduction de cette mesure permettra à l’État de sécuriser des recettes fiscales stables pendant une période économique charnière, contribuant ainsi au maintien de l’équilibre budgétaire et au financement de la protection sociale.
Augmentation de la Redevance sur les Recharges Téléphoniques : 0,100 Dinar
Parmi les nouvelles mesures fiscales destinées à renforcer le financement des fonds sociaux, le PLF 2026 introduit une augmentation de la taxe prélevée sur les recharges de téléphone portable. Cette redevance passera à 0,100 dinar par opération de recharge, impactant directement les millions d’utilisateurs de téléphonie mobile en Tunisie.
Cette taxation des services de télécommunication s’inscrit dans une stratégie d’élargissement de l’assiette fiscale en ciblant un secteur à forte consommation et à grande diffusion. Les opérateurs de téléphonie mobile devront adapter leurs systèmes de facturation pour intégrer automatiquement cette nouvelle redevance et assurer son reversement régulier aux caisses de l’État.
Cette mesure, bien que modeste en montant unitaire, générera des recettes significatives compte tenu du volume important de recharges effectuées quotidiennement par les utilisateurs tunisiens, contribuant ainsi au financement des programmes sociaux et des mécanismes de solidarité nationale.
Nouvelle Taxe de 20 Dinars sur les Cahiers des Charges
Le projet de loi institue également une imposition de 20 dinars sur les cahiers des charges soumis aux administrations publiques. Cette redevance administrative touchera les entreprises, les promoteurs de projets et les investisseurs engagés dans diverses procédures nécessitant l’établissement de cahiers des charges.
Cette mesure vise à faire contribuer davantage les acteurs économiques utilisant les services administratifs de l’État tout en participant au financement des fonds sociaux. Le prélèvement de cette taxe s’effectuera lors du dépôt ou de la délivrance du cahier des charges par l’administration concernée.
Bien que cette imposition puisse être perçue comme une charge administrative supplémentaire par certains opérateurs économiques, elle s’inscrit dans l’effort général de mobilisation de ressources fiscales diversifiées pour soutenir les politiques publiques et les programmes sociaux.
Redevance sur les Jeux et Concours via Technologies de Communication
Le PLF 2026 étend le champ d’application des redevances fiscales aux activités de jeux et concours organisés via les diverses technologies de communication. Cette nouvelle taxation cible l’économie numérique en pleine expansion, notamment les jeux-concours, les loteries numériques et les activités ludiques proposées via internet, les applications mobiles ou les services SMS.
Cette mesure répond à la nécessité d’adapter le système fiscal à l’évolution des modes de consommation et des pratiques commerciales, en particulier dans le secteur numérique qui connaît une croissance rapide. Les organisateurs de tels jeux et concours devront se conformer aux nouvelles obligations fiscales et procéder au prélèvement et au reversement de cette redevance selon les modalités qui seront précisées par les textes d’application.
Redevances Progressives sur les Factures des Grands Espaces Commerciaux
Le projet introduit un système innovant de taxation des transactions dans les grands espaces commerciaux, avec un barème progressif basé sur le montant des achats. Cette redevance s’appliquera selon deux seuils distincts : 1,5 dinar sera prélevé pour chaque facture comprise entre 50 et 100 dinars, tandis qu’une redevance de 2 dinars concernera les factures supérieures à 100 dinars.
Cette mesure cible spécifiquement les grandes surfaces commerciales, hypermarchés et centres commerciaux, secteurs qui bénéficient d’un volume d’affaires important. Le système progressif permet d’exonérer les petites transactions tout en faisant contribuer proportionnellement les achats plus conséquents au financement des fonds sociaux.
Les grands distributeurs devront intégrer cette redevance dans leurs systèmes de caisse et assurer sa collecte systématique pour chaque transaction dépassant les seuils fixés. Cette taxation des activités de grande distribution représente une source de recettes régulières destinées exclusivement au renforcement des mécanismes de solidarité sociale.
Contribution Exceptionnelle de 4% pour les Secteurs à Haute Rentabilité
Le PLF 2026 établit une contribution exceptionnelle ciblée de 4% visant spécifiquement les secteurs économiques présentant les niveaux de rentabilité les plus élevés. Cette mesure fiscale sectorielle concerne les banques, les institutions financières, les compagnies d’assurance, les opérateurs de réseaux de télécommunications et les concessionnaires automobiles.
Cette contribution sera calculée sur la base des bénéfices réalisés durant l’exercice 2025, avec l’application d’un seuil minimal de 10 000 dinars garantissant une participation effective même pour les entités aux bénéfices modestes. Cette taxation sectorielle reflète une politique de justice fiscale visant à solliciter davantage les industries à forte valeur ajoutée et à rentabilité élevée pour contribuer au financement des dépenses publiques et des programmes sociaux.
Les entreprises concernées devront provisionner cette contribution dans leurs comptes de l’exercice 2025 et procéder à son versement selon le calendrier qui sera déterminé par l’administration fiscale. Cette mesure s’inscrit dans une logique de redistribution et de participation équitable des différents secteurs économiques à l’effort national.
Allègement de 2,757 Millions de Dinars pour la Société Tunisienne du Sucre
Dans le cadre des mesures de soutien aux entreprises publiques stratégiques, le PLF 2026 prévoit des dispositions favorables pour la Société tunisienne du sucre. L’article 43 du projet autorise expressément le ministre des Finances à procéder à la suppression de 2,757 millions de dinars de dettes accumulées par la STS.
Cette remise exceptionnelle concerne spécifiquement les amendes fiscales et les pénalités de retard de paiement qui pèsent sur la trésorerie de l’entreprise. Cette mesure d’assainissement financier vise à offrir un nouveau départ à cette société publique essentielle pour la sécurité alimentaire du pays, lui permettant de se concentrer sur son activité principale sans le poids des arriérés fiscaux.
L’effacement de cette dette représente un geste significatif de l’État envers une entreprise publique confrontée à des difficultés financières structurelles. Cette décision témoigne de la volonté gouvernementale de préserver les entreprises stratégiques et de leur donner les moyens de retrouver un équilibre financier durable.
Mesures d’Exonération pour la Compagnie des Phosphates de Gafsa
Le PLF 2026 accorde une attention particulière à la Compagnie des phosphates de Gafsa, entreprise stratégique pour l’économie nationale. L’article 41 du projet introduit un ensemble cohérent de mesures fiscales et douanières destinées à stimuler les activités de la compagnie et à encourager l’investissement dans ses équipements et infrastructures.
Exonérations Douanières et Suppression de la TVA sur Importations
Les dispositions prévoient des exonérations douanières complètes ainsi que la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée sur l’importation des outils, équipements, matériaux et véhicules nécessaires aux opérations de la CPG. Cette double exonération – droits de douane et TVA – représente un avantage fiscal considérable qui réduira substantiellement les coûts d’investissement et facilitera la modernisation de l’appareil productif de la compagnie.
Annulation de la TVA sur les Achats Opérationnels
Au-delà des importations, le PLF 2026 étend le bénéfice de l’exonération de TVA à l’ensemble des achats nécessaires aux activités courantes de la CPG. Cette mesure d’allègement fiscal global permettra à l’entreprise de réaliser des économies significatives sur ses approvisionnements, améliorant ainsi sa compétitivité et sa capacité d’investissement.
Pour bénéficier de ces avantages fiscaux, la CPG devra obtenir préalablement un certificat auprès des services fiscaux compétents. Cette procédure garantit la traçabilité et le contrôle de l’utilisation de ces exonérations, assurant qu’elles servent effectivement aux objectifs de développement et de modernisation de l’activité phosphatière.
Renforcement du Dispositif en Faveur des Entreprises Citoyennes
Le PLF 2026 manifeste un engagement fort en faveur des entreprises citoyennes, considérées comme des vecteurs essentiels de création d’emplois et de développement économique inclusif. L’article 25 du projet introduit des amendements au décret 79 de 2022 concernant les délais accordés aux entreprises citoyennes pour accéder aux mécanismes d’appui financier.
Allocation de 35 Millions de Dinars Supplémentaires
La mesure concrète la plus significative consiste en l’affectation de 35 millions de dinars supplémentaires provenant du Fonds national de l’emploi. Cette enveloppe budgétaire sera exclusivement destinée à la ligne de financement des entreprises citoyennes, créée conformément au décret 79 de 2022.
Cette augmentation substantielle des ressources disponibles permettra d’accompagner un nombre accru de projets entrepreneuriaux à dimension sociale et citoyenne. Les entreprises répondant aux critères définis pourront ainsi bénéficier d’un accès facilité au financement, favorisant leur émergence, leur développement et leur pérennité dans le tissu économique national.
Cette mesure s’inscrit dans une stratégie plus large de promotion de l’économie sociale et solidaire, reconnaissant le rôle crucial de ces entreprises dans la création d’emplois durables, particulièrement dans les régions défavorisées, et dans la mise en œuvre de modèles économiques plus inclusifs et responsables.
Réforme de l’Impôt sur la Fortune : Un Cadre Fiscal Modernisé
Le PLF 2026 opère une refonte complète du système d’imposition du patrimoine en Tunisie. L’article 50 abroge les dispositions antérieures de l’article 23 du décret n°79 de 2022 pour les remplacer par un cadre fiscal entièrement repensé, visant à renforcer l’équité fiscale entre citoyens et à moderniser les méthodes de recouvrement de l’impôt.
Assiette et Contribuables Concernés
À compter du 1er janvier de chaque année, l’impôt sur la fortune sera prélevé sur le patrimoine des personnes physiques, incluant les biens appartenant à leurs enfants mineurs sous tutelle. Cette imposition couvrira à la fois les biens immobiliers (terrains, propriétés, locaux) et les biens mobiliers (liquidités, placements, véhicules, etc.).
Le périmètre d’imposition établit une vision globale du patrimoine familial, permettant une évaluation exhaustive de la richesse réelle des contribuables. Cette approche garantit une application équitable du principe de contribution selon les capacités financières de chacun.
Barème Progressif d’Imposition
Le PLF 2026 instaure un système de taxation progressive à deux paliers, conçu pour préserver les patrimoines moyens tout en sollicitant davantage les fortunes importantes. Le taux d’imposition s’élève à 0,5% pour les patrimoines compris entre 3 et 5 millions de dinars, et à 1% pour les patrimoines dépassant les 5 millions de dinars.
Ce barème progressif reflète un principe de justice fiscale où le taux augmente proportionnellement à la richesse, conformément aux standards internationaux en matière d’équité fiscale. Cette structure à deux niveaux permet de moduler la charge fiscale en fonction de l’importance du patrimoine détenu.
Principe de Territorialité
L’impôt s’appliquera aux biens situés en Tunisie, quelle que soit la résidence du contribuable, garantissant ainsi l’imposition de tous les actifs présents sur le territoire national. Pour les résidents tunisiens, l’impôt concernera également les biens détenus à l’étranger, sous réserve des conventions internationales de non-double imposition que la Tunisie a signées avec différents pays.
Cette règle de territorialité étendue pour les résidents vise à assurer une imposition complète du patrimoine global des contribuables tunisiens, tout en respectant les engagements internationaux du pays et en évitant les situations de double imposition qui pénaliseraient injustement les détenteurs d’actifs internationaux.
Exonérations et Biens Exclus
Le législateur a établi une liste précise d’exonérations protégeant les biens d’usage personnel et professionnel. Sont exclus de l’assiette imposable : la résidence principale du contribuable et son mobilier, les biens immobiliers à usage professionnel, les fonds de commerce effectivement exploités, ainsi que les véhicules non utilitaires d’une puissance fiscale inférieure ou égale à 12 chevaux.
Ces exonérations visent à préserver le droit fondamental au logement, à encourager l’activité économique et l’entrepreneuriat, et à éviter d’imposer les outils de travail nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle. Cette distinction entre patrimoine productif et patrimoine de jouissance reflète une approche équilibrée de la fiscalité patrimoniale.
Calcul de l’Assiette : Valeur Nette
L’impôt sera calculé sur la valeur nette du patrimoine, après déduction des dettes y afférentes conformément au Code des droits réels. Cette disposition garantit une taxation basée sur la richesse nette réelle du contribuable, en tenant compte de son endettement légitime lié aux biens détenus.
Toutefois, une exception importante concerne les garanties réelles consenties aux entreprises, qui ne pourront pas être déduites de l’assiette imposable. Cette restriction vise à éviter les optimisations fiscales abusives et à maintenir l’intégrité du système d’imposition du patrimoine.
Obligations Déclaratives
Les contribuables assujettis devront déclarer leur patrimoine avant la fin du mois de juin de chaque année, au moyen d’un formulaire officiel fourni par l’administration fiscale. Le PLF 2026 introduit une modernisation significative en offrant la possibilité d’un paiement par voie électronique sécurisée, facilitant les démarches et accélérant le recouvrement des recettes.
Règles de Compétence Territoriale
Le projet établit des règles précises concernant le lieu de déclaration. Le principe général prévoit que la déclaration s’effectue au lieu de la résidence principale du contribuable, ou selon les données de la carte d’identité nationale pour les personnes sans activité ni revenus. En cas de détention de plusieurs biens immobiliers ou mobiliers, la déclaration se fera dans le lieu où se situe le bien de la valeur la plus élevée.
Une disposition pragmatique prévoit que l’administration fiscale compétente restera celle du siège principal initialement déclaré, même si celui-ci s’avère ultérieurement ne pas correspondre à la résidence réelle. Cette stabilité administrative garantit une continuité dans le traitement des dossiers fiscaux et simplifie les relations entre contribuables et administration.
Application du Cadre Juridique Fiscal
Cet impôt sera soumis à l’ensemble des règles du Code des droits et procédures fiscaux, notamment en matière de déclaration, de contrôle, de contentieux, de prescription, de restitution et de sanctions. Cette intégration dans le cadre fiscal général garantit la sécurité juridique des contribuables tout en dotant l’administration des outils nécessaires au contrôle et au recouvrement efficaces de cet impôt.
L’application de ce corpus réglementaire complet assure un traitement homogène de l’impôt sur la fortune avec les autres impositions, offrant aux contribuables les mêmes garanties procédurales et les mêmes voies de recours en cas de litige avec l’administration fiscale.
Perspectives et Impact Économique du PLF 2026
Le projet de Loi de finances 2026 dessine les contours d’une politique budgétaire ambitieuse combinant recherche de recettes nouvelles, soutien ciblé aux entreprises stratégiques et modernisation du système fiscal tunisien. Les 11 000 millions de dinars de facilités accordées par la BCT offriront à l’État une marge de manœuvre budgétaire indispensable pour financer ses priorités.
Les nouvelles redevances et taxes, bien qu’impactant le quotidien des citoyens et les coûts pour certaines entreprises, visent à élargir l’assiette fiscale et à diversifier les sources de financement des programmes sociaux. La réforme de l’impôt sur la fortune introduit un mécanisme de redistribution plus équitable, alignant la Tunisie sur les pratiques internationales en matière de fiscalité patrimoniale.
Les mesures de soutien aux entreprises publiques stratégiques comme la Compagnie des phosphates de Gafsa et la Société tunisienne du sucre témoignent de la volonté de préserver les capacités productives nationales dans des secteurs clés. Le renforcement du financement des entreprises citoyennes s’inscrit dans une vision d’économie plus inclusive et socialement responsable.
Ce projet de loi reflète les défis budgétaires auxquels fait face la Tunisie tout en tentant de préserver un équilibre entre impératifs de mobilisation de ressources fiscales, soutien à l’activité économique et maintien de la cohésion sociale. Son adoption et sa mise en œuvre effective détermineront la trajectoire budgétaire et économique du pays pour l’année 2026.

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