Par un court message explosif dont il a le secret, le président américain Donald Trump a annoncé la reprise des essais nucléaires américains. Publié depuis l’hélicoptère Marine One quelques minutes avant une rencontre avec le président chinois Xi Jinping en Corée du Sud, durant laquelle les tensions douanières semblent s’être effacées, le message a immédiatement agité les chancelleries du monde entier. « En raison des programmes d’essais menés par d’autres pays, j’ai demandé au département de la guerre de commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité », a-t-il publié sur son réseau Truth social. « Ce processus commencera immédiatement », a-t-il précisé.
Cette annonce majeure pourrait avoir des conséquences planétaires, alors que de nombreux pays dotés de l’arme atomique, dont la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan souhaiteraient reprendre des essais nucléaires. Le Point a interrogé Emmanuelle Maître, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, experte de la dissuasion nucléaire, et Tom Abram, doctorant au Centre de recherches internationales de Sciences Po, expert de la Chine.
Le Point : Donald Trump a-t-il vraiment annoncé la reprise des essais nucléaires, ou la formulation est-elle floue au point de n’être, potentiellement, que la reprise de tests plus poussés des vecteurs comme les missiles ?
Emmanuelle Maître : Les formulations de Donald Trump sont toujours ambiguës. Il a bien évoqué l’essai d’armes nucléaires et non de vecteurs. Mais lorsqu’il annonce la reprise des essais nucléaires, il ne saisit peut-être pas entièrement à quoi il fait référence, car il affirme avoir pris cette décision en réaction à ce que la Russie a testé ces derniers jours, c’est-à-dire un missile à propulsion nucléaire : il ne s’agit absolument pas d’essai d’arme nucléaire. Il y a potentiellement une confusion.
À LIRE AUSSI Poutine et ses militaires ont-ils peur de la bombe nucléaire française ? Tom Abram : Il est assez difficile de déchiffrer ce que dit Donald Trump, qui s’est présenté ces derniers temps comme un défenseur de la dénucléarisation. Cette annonce était assez soudaine. Je ne sais pas si elle était destinée à la Russie avec leur test récent du missile à propulsion nucléaire – qui n’a pas grand-chose à voir avec la dissuasion nucléaire – ou à la Chine. Les États-Unis estiment que ces deux puissances s’apprêteraient à reprendre des essais nucléaires.
Les essais de missiles sont habituels, mais pas les essais avec détonation d’armes nucléaires…
E. M. : Les essais de missiles sont réalisés de manière routinière par les États-Unis, comme par la France et les autres puissances nucléaires. Les États-Unis en ont mené cet été, et ils se tiennent en général à un rythme de deux à trois tests par an de missiles intercontinentaux depuis la base californienne de Vandenberg. La Russie aussi en réalise régulièrement, et ces derniers jours elle a testé à la fois des missiles nucléaires depuis des sous-marins comme elle le fait chaque automne, et un missile à propulsion nucléaire, ce qui est plus atypique.
Quelle forme pourrait prendre un essai d’arme nucléaire côté américain ?
E. M. : Ce type d’essai nécessite énormément de moyens. Le centre d’essais du Nevada (un site de 3 500 km2 qui a servi à réaliser 928 essais de 1951 à 1992, NDLR) est maintenu en condition et est censé être capable de reprendre les essais avec un préavis de 18 mois. Mais ce délai ne prend pas en compte le temps nécessaire pour développer de l’instrumentation spécifique aux nouvelles armes nucléaires américaines. Pour avoir le temps d’organiser la collecte d’informations scientifiques, il faudrait plutôt compter deux ou trois ans de préparatifs, et assortir l’annonce d’une hausse majeure du budget du centre. Or, pour le moment, le gouvernement fédéral est paralysé. Si les essais ont lieu dans 18 mois, ils ne serviront à rien sur le plan technologique, ils ne seront que des signalements stratégiques, des messages politiques.
De nouveaux essais seraient-ils utiles pour les États-Unis ?
E. M. : Pour les Américains, manifestement non. Cela fait 30 ans que les directeurs de laboratoires américains certifient au Congrès qu’ils n’ont pas besoin d’essais nucléaires pour développer les nouveaux armements. Le Pentagone a massivement investi dans les simulations pour développer ses nouvelles armes et en simuler les effets, sans avoir besoin d’essai réel. Si depuis 30 ans les directeurs des laboratoires disent la vérité au congrès, alors de nouveaux essais seront inutiles. En France, le CEA porte le même message. En revanche des pays comme l’Inde, le Pakistan ou la Corée du Nord, qui ont fait très peu d’essais, pourraient être tentés de lancer des campagnes dans la foulée de l’annonce de Donald Trump. Ils n’ont pas les mêmes outils sophistiqués de simulation.
Alors pourquoi cette annonce de Donald Trump, selon vous ?
E. M. : Je trouve cette annonce totalement absurde : les États-Unis n’ont pas besoin de nouveaux essais nucléaires, mais s’ils le font, ils ouvrent la porte à des pays qui en ont besoin et vont se lancer en cascade. Et même si les États-Unis lancent le processus et finalement ne vont pas au bout, ils auront en quelque sorte donné le feu vert aux autres. La Chine par exemple serait très intéressée, et s’ils peuvent le présenter comme une réponse aux États-Unis, ils n’hésiteront pas.
T. A. : Le dernier essai nucléaire chinois remonte à 1996. Sur le site d’essai de Lop Nur, l’on observe une activité importante ces dernières années, qui est interprétée comme les prémices d’une possible reprise des essais nucléaires chinois. L’annonce de Donald Trump ne peut que normaliser cette stratégie et pousser les Chinois à accélérer. Ces essais leur seraient particulièrement utiles car ils ont cherché à moderniser et miniaturiser leurs armes nucléaires depuis leurs derniers essais. De nouveaux essais pourraient renforcer leur confiance dans l’arsenal national, bien que leurs capacités de simulation se soient développées considérablement ces dernières années.
À LIRE AUSSI Le drone Vectis, nouvel atout de l’US Air Force face à la Chine ? Sur le plan environnemental, quelles seraient les conséquences d’essais nucléaires aujourd’hui ?
E. M. : Les essais souterrains tels qu’ils peuvent être menés dans le Nevada ne provoquent pas de fuite radioactive dans l’atmosphère, sauf catastrophe d’ingénierie. La Corée du Nord est la seule à en avoir mené au XXIe siècle, en souterrain donc il n’y a pas eu de contamination. Toutefois, même s’il n’y a pas de retombées, la population ne peut pas se sentir en sécurité, et la densité de population dans le Nevada a augmenté depuis la fin des essais en 1992. De plus, il peut y avoir des conséquences géologiques de long terme, comme la fragilisation des sols. Si plusieurs pays s’engouffrent dans la brèche, le risque est réel de voir de nombreuses régions du monde fortement détériorées.
Si son objectif est d’envoyer un message politique fracassant, Donald Trump pourrait-il décider de mener un essai atmosphérique et non souterrain ?
E. M. : Connaissant Donald Trump, je ne veux pas exclure cette possibilité. Ce serait surprenant et improbable, en plus d’être interdit par le traité d’interdiction partielle des essais nucléaires (dans l’atmosphère, sous l’eau et dans l’espace, NDLR), dont les États-Unis sont signataires.
Donald Trump affirme que l’arsenal nucléaire de la Chine aura rattrapé celui des États-Unis dans cinq ans, est-ce crédible ?
T. A. : Cela me paraît un peu exagéré. Mais il est vrai que la taille de l’arsenal chinois augmente très, très rapidement. Ils sont très discrets sur cette augmentation et ne donnent aucun chiffre. L’une des questions majeures est celle de l’adéquation entre l’arsenal chinois et sa doctrine. Contrairement à la Russie et aux États-Unis, la Chine assure avoir une doctrine de non-emploi en premier, qui s’appuie sur un arsenal “suffisant et efficace”. Des voix s’élèvent aux États-Unis pour accuser la Chine de vouloir abandonner ce principe de non-emploi en premier.

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